L'une des principales nouveautés de la directive de 2013 consiste à étendre le champ d'application de la directive de 2003 pour y inclure les bibliothèques, musées et archives.
Pour autant, cette nouveauté s'accompagne comme on va le voir, d'un grand nombre de cas dérogatoires concernant les nouveaux entrants, si bien que l'on peut s'interroger sur la portée réelle du changement.
Bruxelles, le Parlement européen. Par Sébastien Bertrand. CC-BY. Source : Flickr |
Objet et champ d'application
L'article premier énonce que :
La directive ne s'applique pas
e) aux documents détenus par des établissements d'enseignement et de recherche, y compris des organisations créées pour le transfert des résultats de la recherche, des écoles et des universités, à l'exception des bibliothèques universitaires
f) aux documents détenus par des établissements culturels autres que des bibliothèques, des musées et des archives.
S'il est vrai que le texte de 2013 inclut désormais les bibliothèques, musées et archives, il n'en reste pas moins que les "autres" établissements culturels se tiennent hors de portée de la directive. Le considérant 18 précise que par "établissements culturels autres", il faut entendre notamment :
les orchestres, les opéras, les ballets et les théâtres, y compris les archives faisant partie de ces établissements [qui]devraient continuer à être exclus du champ d’application en raison de leur spécificité de «spectacle vivant». Dès lors que la quasi totalité du matériel en leur possession fait l’objet de droits de propriété intellectuelle détenus par des tiers et, à ce titre, resterait hors du champ d’application de ladite directive, l’inclusion de ces établissements dans le champ d’application aurait peu d’effet.C'est bien connu, les opéras, ballets et théâtres n'interprètent ou ne représentent jamais des œuvres du domaine public à partir du matériel en leur possession....
Par ailleurs, le texte exclut de son champ d'application les universités et écoles de l'enseignement supérieur "à l'exception des bibliothèques universitaires". Or, comme le relève Michèle Battisti, la distinction entre universités et BU n'est pas facile à établir.
Enfin le texte laisse perplexe sur le cas des bibliothèques des écoles de l'enseignement supérieur : sont-elles incluses dans le dispositif du fait même de leur statut de bibliothèques (cas f) ou exclues du fait de n'être pas stricto sensu des bibliothèques universitaires (cas e) ?
Demandes de réutilisation
En matière de traitement des demandes de réutilisation, l'une des nouveautés de la directive de 2013 consiste à ouvrir la possibilité d'un recours via "un organisme de réexamen impartial doté des compétences appropriées, telle que l'autorité nationale de la concurrence, l'autorité nationale d'accès aux documents ou une autorité judiciaire nationale, dont les décisions sont contraignantes pour l'organisme du secteur public concerné" (article 4).
En cas de décision négative, les organismes du secteur public doivent communiquer au demandeur les raisons du refus. Dans le cas précis où le refus se fonde sur la détention par des tiers de droits de propriété intellectuelle, "l'organisme du secteur public fait mention de la personne physique ou morale titulaire des droits, si elle est connue, ou, à défaut, du donneur de licence auprès duquel il a obtenu le document en question. Les bibliothèques, y compris les bibliothèques universitaires, les musées et les archives ne sont pas tenus d'indiquer cette mention."
En pratique, cette dérogation devrait avoir un effet très limité en droit français, dans la mesure où le droit à la paternité est l'une des composantes du droit moral. S'il est vrai qu'un établissement culturel pourra, en vertu du texte de la directive de 2013, ne pas mentionner les auteurs ou les ayants droit dans le message adressé au demandeur pour expliciter le refus, il n'en reste pas moins que la mention de paternité doit être visible sur le site web de cet établissement.
Conditions de réutilisation
1) Formats disponibles (article 5)
Principale nouveauté : la directive de 2013 favorise la mise à disposition des données du secteur public "dans un format ouvert et lisible par machine". Cependant, le texte reste relativement timide : les organismes du secteur public doivent se conformer à cette exigence "si possible et s'il y a lieu". (Il doit certainement y avoir beaucoup de Bisounours dans les travées du Parlement européen).
2) Principes de tarification (article 6)
En ce qui concerne les règles de tarification, le texte propose une nouvelle exception à destination des bibliothèques, musées et archives :
1. Lorsque la réutilisation de documents est soumise à des redevances, lesdites redevances sont limitées aux coûts marginaux de reproduction, de mise à disposition et de diffusion.
2. Le paragraphe 1 ne s'applique pas (...) aux bibliothèques, y compris les bibliothèques universitaires, aux musées et aux archives. (...)
Et le régime dérogatoire accordé aux bibliothèques, musées et archives s'étend encore plus loin. Le paragraphe 3 détaille la portée de l'exception en faveur essentiellement des Etablissements à caractère Public, Industriel et Commercial (EPIC) : ces derniers "calculent le montant total des redevances en fonction de critères objectifs, transparents et vérifiables définis par les États membres". Le paragraphe 4 détaille cette fois la portée de l'exception en faveur des bibliothèques, musées et archives. Et là, surprise : le calcul en fonction de "critères objectifs, transparents et vérifiables" n'est plus exigé !
3) Transparence (article 7)
Le principe général de transparence est réaffirmé, notamment en ce qui concerne un affichage clair des voies de recours.
Cependant, comme on l'a vu, les choses ne sont pas si claires concernant les règles de tarification, un certain flou autorisant les bibliothèques, musées et archives à ne pas se conformer aux règles de transparence.
Cependant, comme on l'a vu, les choses ne sont pas si claires concernant les règles de tarification, un certain flou autorisant les bibliothèques, musées et archives à ne pas se conformer aux règles de transparence.
Interdiction des accords d'exclusivité
Le principe établi depuis 2003 de l'interdiction des accords d'exclusivité est confirmé. Des exceptions sont toujours possibles dans le cas où "un droit d'exclusivité est nécessaire pour la prestation d'un service d'intérêt général" (article 11). Ce droit d'exclusivité doit être réexaminé tous les trois ans. Le texte ne précise pas, dans ce cas la durée maximale de l'exclusivité.
La directive de 2013 introduit un régime dérogatoire dans le cas de la "numérisation des ressources culturelles"
La directive de 2013 introduit un régime dérogatoire dans le cas de la "numérisation des ressources culturelles"
lorsqu'un droit d'exclusivité concerne la numérisation de ressources culturelles, la période d'exclusivité ne dépasse pas, en général, dix ans. Lorsque ladite durée est supérieure à dix ans, elle fait l'objet d'un réexamen au cours de la onzième année et ensuite, le cas échéant, tous les sept ans. Les accords d'exclusivité visés au premier alinéa sont transparents et sont rendus publics.
Le texte de la directive de 2013 a le mérite de proposer une durée maximale pour les exclusivités dans le cas de la numérisation des ressources culturelles. Cependant, le texte est peu contraignant, puisqu'il énonce un constat de fait et non une règle ("la période d'exclusivité ne dépasse pas, en général, dix ans"). Par ailleurs, l'intervalle entre deux réexamens du bien-fondé de l'exclusivité est considérablement élargi par rapport aux autres cas de numérisation : un réexamen est requis au bout de 11 ans puis tous les 7 ans.
On notera cependant un point très positif énoncé dans l'article 11. Les accords d'exclusivité doivent être "transparents" et "rendus publics", disposition, qui, une fois transposée, devrait contraindre certains établissements culturels français, à ne plus caviarder allègrement lesdits accords au nom du secret commercial.
PS: merci à Jordi Navarro pour son travail préparatoire sur la comparaison terme à terme des textes des deux directives.
On notera cependant un point très positif énoncé dans l'article 11. Les accords d'exclusivité doivent être "transparents" et "rendus publics", disposition, qui, une fois transposée, devrait contraindre certains établissements culturels français, à ne plus caviarder allègrement lesdits accords au nom du secret commercial.
PS: merci à Jordi Navarro pour son travail préparatoire sur la comparaison terme à terme des textes des deux directives.
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