samedi 9 avril 2016

Un train peut en cacher un autre

Mise à jour du 24 avril. 

La mise à jour est double. Tout d'abord, il me faut apporter une correction importante. L'amendement Mélot voté en commission des lois fait bien obstacle, contrairement à ce que j'ai écrit, aux clauses entravant la fouille de données par l'adjonction de contraintes de toutes sortes puisqu'il y est précisé que "l’autorisation de fouille ne donne lieu à aucune limitation technique". Ensuite, après des discussions internes au sein du collectif SavoirsCom1, nous en sommes arrivés à la conclusion, que nous avons formalisée dans un communiqué, que l'amendement Mélot "constitue sans doute le moins mauvais compromis possible en l’absence d’une évolution du Code de la Propriété Intellectuelle (...) La limitation du champ d’application des activités de TDM aux publications scientifiques mises à disposition en vertu des «contrats conclus par un éditeur avec un organisme de recherche ou une bibliothèque» est une solution de compromis qui va aussi loin que possible en l’absence d’une révision du Code de la Propiété Intellectuelle." L'amendement Mélot permet en effet d'éviter une situation de blocage absolu, assez inévitable tant que le gouvernement n'envisagera pas sérieusement de faire voter une nouvelle exception au droit d'auteur en faveur du TDM, quand bien même cette nouvelle exception apparaîtrait en contradiction avec le droit communautaire, lequel prévoit une liste fermée d'exceptions en vertu de la directive "Infosoc" de 2001.


Dans le précédent article, j'ai essayé de montrer comment les lignes étaient en train de bouger, tant au niveau national qu'européen pour ce qui touche au Text and Data Mining. Cependant, le propos était par trop optimiste et ne prenait pas en compte l'adoption de l'amendement présenté par Mme Mélot au nom de la commission Culture. S'oriente-t-on vers une consécration par la loi pour une République numérique, d'une exception de Text and Data mining? Pas vraiment en fait : il n'y aura pas d'exception générale de TDM, mais un aménagement particulier dans le contexte des abonnements institutionnels. L'amendement adopté par la Commission des lois est un amendement de compromis qui veut ménager la chèvre et le chou. D'un côté, ne pas contrevenir à la législation européenne actuelle sur le droit d'auteur et se garder d'anticiper sur la solution, incertaine, qui sera choisie par les autorités européennes au terme de la réforme. De l'autre, prendre en compte les nouveaux besoins de la recherche en invalidant les clauses interdisant le TDM dans les abonnements souscrits par des organismes de recherche ou des bibliothèques. L'amendement retenu propose une complète réécriture de la précédente version votée par les députés :

"Dans les contrats conclus par un éditeur avec un organisme de recherche ou une bibliothèque ayant pour objet les conditions d’utilisation de publications scientifiques, toute clause interdisant la fouille électronique de ces documents pour les besoins de la recherche publique, à l'exclusion de toute finalité directement ou indirectement commerciale, est réputée non écrite. L’autorisation de fouille ne donne lieu à aucune limitation technique ni rémunération complémentaire pour l’éditeur.
La conservation et la communication des copies techniques issues des traitements, aux termes des activités de recherche pour lesquelles elles ont été produites, sont assurées par des organismes dont la liste est fixée par décret.
Le présent article est applicable aux contrats en cours."

un train peut en cacher un autre

On peut interpréter cet amendement de façon positive comme une première brèche dans la muraille du droit des producteurs de bases de données.

Mais il faut aussi souligner la portée limitée de la disposition.

D'une part, s'il est vrai que les clauses contenues dans les licences signées entre les éditeurs et les établissements publics interdisant le TDM seront réputées non écrites, il n'en restera pas moins que les clauses entravant la fouille de données par l'adjonction de contraintes de toutes sortes resteraient parfaitement légales. Les éditeurs scientifiques resteront libres de contraindre les chercheurs à utiliser exclusivement leur API, ou à ne pas dépasser un nombre-limite de requêtes hebdomadaires, ou bien un nombre-limite de caractères par extraction. Le protocole d'accord de janvier 2014 (amendé par la suite) entre Elsevier et le consortium Couperin permet de mesurer combien l'imagination des éditeurs est sans limites dès qu'il s'agit de créer des entraves à la pratique du TDM.

D'autre part, et de façon plus générale, dès lors que la fouille de données portera sur un corpus pris sur le web en dehors du périmètre des ressources souscrites par l'établissement d'appartenance du chercheur, la fouille de données ne sera pas couverte par la moindre exception. On retournera alors à une situation parfaitement identique à la situation actuelle. Les chercheurs devront négocier pied à pied avec les producteurs de bases de données (quand ils sont identifiables) le droit de procéder à une extraction de données. De sorte que seules primeront les solutions contractuelles.

Suivant l'avis de la Commission Culture du Sénat, la Commission des lois a donc fait le choix d'un compromis absurde selon lequel ne seront couvertes que les extractions à partir de corpus faisant l'objet d'abonnements institutionnels, tandis que les contenus en libre accès sur le web resteront hors de portée. La solution n'est pas acceptable en l'état. Espérons que les discussions ultérieures amèneront les parlementaires à revoir leur copie.










jeudi 7 avril 2016

Open Access dans le projet de loi pour une République numérique: vers une issue heureuse?

Après un long silence personnel causé pour partie par le sentiment d'exaspération et de lassitude extrême de relire çà et là sous la plume de porte-parole de maisons d'édition ou d'éminents représentants des sciences sociales, le ressassement sempiternel de peurs irrationnelles et de prophéties apocalyptiques, je reprends mon clavier et je tente de faire le point sur les espoirs que fait naître le projet de loi Lemaire en matière d'Open Access. Les dernières discussions en commission des lois au Sénat sont plutôt encourageantes. Avant que de les évoquer, faisons un retour en arrière sur les dernières péripéties qui ont accompagné la gestation du texte de loi.

Back to the recent past...


 Le texte a été mis au vote à l'Assemblée Nationale à la mi-janvier.

Pour ce qui concerne le "droit d'exploitation secondaire" des chercheurs, la version de l'article 17 finalement retenue par les parlementaires, établissait que
" I. – Lorsqu’un écrit scientifique issu d’une activité de recherche financée au moins pour moitié par des dotations de l’État, des collectivités territoriales ou des établissements publics, par des subventions d’agences de financement nationales ou par des fonds de l’Union européenne est publié dans un périodique paraissant au moins une fois par an, son auteur dispose, même après avoir accordé des droits exclusifs à un éditeur, du droit de mettre à disposition gratuitement dans un format ouvert, par voie numérique, sous réserve de l’accord des éventuels coauteurs, toutes les versions successives du manuscrit jusqu’à la version finale acceptée pour publication, dès lors que l’éditeur met lui-même celle-ci gratuitement à disposition par voie numérique et, à défaut, à l’expiration d’un délai courant à compter de la date de la première publication. Ce délai est de six mois pour une publication dans le domaine des sciences, de la technique et de la médecine et de douze mois dans celui des sciences humaines et sociales. Un délai inférieur peut être prévu pour certaines disciplines, par arrêté du ministre chargé de la recherche.

« La version mise à disposition en application du premier alinéa ne peut faire l’objet d’une exploitation dans le cadre d’une activité d’édition à caractère commercial."

Des esprits chagrins ont pu relever que le texte ne mentionnait pas explicitement les "archives ouvertes", et, de façon plus grave, que les délais pour la libération des articles n'étaient pas limités strictement à "six mois tout au plus" et "douze mois tout au plus". Calqué sur le modèle de la loi allemande d'octobre 2013,  l'article 17 a été pensé comme un levier pour inciter les chercheurs à diffuser largement leurs publications, sans le leur imposer, les chercheurs restant les seuls tributaires du droit de déposer ou non leurs articles dans des archives ouvertes. Il est vrai que, tout comme la loi allemande, le texte définit un cadre très peu contraignant. Mais disons qu'il s'agit d'un bon début qui ouvre la voie à d'autres textes ultérieurs plus ambitieux. De plus, à y bien regarder, le saut juridique n'est pas un saut de puce, le dispositif de l'article 17 ayant pour effet d'invalider toute disposition contractuelle: "les dispositions du présent article sont d’ordre public et toute clause contraire à celles-ci est réputée non écrite" (§ IV du même article) Enfin, un délai d'embargo plus court était toujours possible en vertu d'un arrêté pris par le ministre chargé de la recherche pour certaines disciplines (cette disposition vient de sauter à l'issue des discussions au sein de la commission des lois du Sénat, du fait du risque d'insécurité juridique qu'elle engendrait)


Pour ce qui est de l'exception de Text and Data Mining, on peut dire que, dans un premier temps, le gouvernement aura tout fait pour qu'elle ne voie pas le jour. Son rejet de l'exception était fondé sur un risque d'incompatibilité avec le droit européen: ajouter une nouvelle exception à la liste fermée des exceptions de la directive « Infosoc » de 2001 aurait posé des problèmes dans le contexte européen de révision du droit d’auteur. Sauf que l'argument faisait beaucoup sourire, si l'on songe à nos voisins outre-Manche qui n'ont pas attendu les derniers soubresauts de la réforme européenne du droit d'auteur pour faire voter dès 2014 une exception de TDM à des fins de recherche. Pour parvenir à ses fins, c'est-à-dire offrir à l'exception de TDM un enterrement de première classe, le gouvernement a ensuite tenté d'allumer des contre-feux. C'est à ce moment-là qu'a germé dans l'esprit éclairé de quelques têtes pensantes du Ministère de la Culture, l'idée de commander un rapport à un comité Théodule, sur l'air trop bien connu de: "il est trop tôt pour voter, c'est un sujet beaucoup trop complexe et nouveau, attendons les résultats du rapport .." Et de missionner dans la foulée, dès le 21 janvier, Charles Huot,qui n'est autre que le président du Groupement français de l’industrie de l’information (GFII), association qui regroupe l’ensemble des acteurs de la chaîne de l’information spécialisée, au premier rang desquels les éditeurs scientifiques. Or  le Text and Data Mining consiste notamment en l'exploitation automatisée de corpus d'articles provenant de plates-formes de revues scientifiques. Dans ce contexte, le président du GFII est-il la personne la mieux qualifiée pour livrer un rapport impartial sur la possibilité de mettre en oeuvre un cadre légal définissant les conditions d'exercice d'une exception de TDM? D'après des propos échangés à l'occasion d'une réunion inter-ministérielle, ledit rapport opterait pour une solution de type contractuel, tant décriée depuis bon nombre d'années du fait de son inadaptation aux modalités d'exercice de la fouille de données. C'est à croire que Charles Huot n'aurait auditionné que des chercheurs hostiles à l'exception de TDM. C'est ce qui s'appelle être juge et partie.

Retour au passé proche: arrive le 22 janvier, jour du vote au sujet de l'exception de TDM. Premier coup de théâtre: contre l'avis du rapporteur Luc Belot, contre l'avis du gouvernement et malgré les manœuvres dilatoires de ce dernier, l'exception de TDM est adoptée. Des députés proches de la majorité s'insurgent: ils n'avaient pas eu le temps d'appuyer sur le bouton! Il était à peu près 20h, le gouvernement avait la possibilité, en jouant sur les règles de procédure, de demander une deuxième délibération à la suite de l'examen de l'ensemble des articles et avant la fin de la clôture de séance. Sauf que, pour des raisons qui tiennent soit à un oubli, soit à une grosse fatigue de fin de soirée, soit à un calcul de probabilité sur les risques d'être battu une seconde fois au vu des sensibilités politiques auxquelles se rattachaient les derniers élus présents dans l'hémicycle à 2h du matin, le gouvernement n'a pas fait la demande d'une seconde délibération. Et c'est ainsi que l'article 18 bis est resté validé nuitamment.

Au final, une fois amendé, le texte de loi dans son ensemble aura permis à la Secrétaire d'Etat Axelle Lemaire de réaliser un score historique, avec 356 votes favorables sur 357 votes exprimés et un seul vote contre.

And now, back to the present...


Depuis le début du printemps, l'heure est au dégel.  A la commission des lois du Sénat, le 6 avril, l'article 17 a été validé, moyennant un toilettage superficiel. Les paragraphes II et III de l'article 17 qui posent le caractère librement réutilisable des données de la recherche ("Dès lors que les données issues d’une activité de recherche, financée au moins pour moitié par des dotations de l’État (...) ne sont pas protégées par un droit spécifique ou une réglementation particulière et qu’elles ont été rendues publiques par le chercheur (...) leur réutilisation est libre.") sont restés totalement inchangés.

Quant à l'exception de TDM, le gouvernement a certes soumis un amendement demandant le retrait de l'article 18 bis. Mais, non seulement le gouvernement n'a pas été suivi, mais il n'a, semble-t-il que mollement défendu l'amendement. Suite aux délibérations, ce dernier est donc désormais qualifié de "satisfait ou sans objet". Cela laisse à penser que le gouvernement ne souhaite plus suivre la même ligne de conduite qu'auparavant, laquelle se résumait à attendre... que l'Union Européenne statue dans le cadre de son programme de réforme du droit d'auteur.

Comme le rapporte Pierre-Carl Langlais, Thierry Mandon, Secrétaire d'Etat chargé de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche a tenu des propos sans ambiguïté au moment même où se tenaient les discussions en commission des lois: « La réforme européenne prendrait au moins trois ou quatre ans. Si nous l’attendons, et que nous ne mettons pas en place une forme d’exception, c’est mort »

Curieusement, ces velléités de passer à la vitesse supérieure se font jour au moment où l'Union Européenne paraît elle-même changer de ton sur le sujet. En janvier, pendant que l'Assemblée Nationale discutait du texte de loi, le Parlement Européen faisait savoir qu'il s'interrogeait sérieusement sur le bien-fondé du droit des bases de données, lequel constitue l'un des soubassements idéologiques et juridiques à partir desquels s'élève la forteresse dans laquelle sont retranchés les éditeurs : sans droit des bases de données, la forteresse s'écroule comme un château de cartes, car la revendication par les producteurs de bases de données du droit de contrôler et de limiter le produit des fouilles de données perd son fondement.

Plus près de nous, la commission européenne en la personne de Carlos Moedas, le Commissaire européen à la recherche, à l'innovation et à la science, multiplie depuis quelques jours les déclarations de soutien aux politiques de promotion de l''Open Science. Après un premier discours ambitieux quoique un peu flou ce lundi, Carlos Moedas a décidé d'afficher clairement son soutien au vote du projet de loi Lemaire, via une courte vidéo diffusée sur les réseaux sociaux, le 6 avril, soit très exactement au moment même des discussions en commission des lois au Sénat:
 "Il nous faut clarifier les normes du droit d'auteur. L'Europe doit clarifier le cadre législatif pour l'accès et l'utilisation des données qui ont une finalité de recherche, et notamment en reconnaissant l'utilisation de la technique du Text and Data Mining comme bénéficiaire d'un régime dérogatoire du droit d'auteur".



Dans son allocution, Carlos Moedas  approuve donc la mise en place d'un dispositif qui s'apparente à une exception de Text and Data Mining. Voilà qui coupera l'herbe sous le pied des tenants du statu quo, lesquels invoquent le risque d'incompatibilité de l'exception française de TDM au regard du cadre juridique européen.

And soon, back to the future ?

Si le gouvernement semble modifier son cap en matière d'Open Access, c'est aussi parce que la mobilisation des chercheurs a pesé sur la redéfinition de sa feuille de route. Ce n'est pas le moment de faiblir... C'est pourquoi il faut inviter le plus grand nombre de nos concitoyens, qu'ils soient chercheurs ou non, à signer cette pétition:
"Pour une science ouverte à tous"