lundi 5 décembre 2011

Projet site web : où est-on?

Voici la toute dernière version de la maquette. On avance lentement mais sûrement. Le graphiste Vincent Fleury (société c'tookom) nous a proposé différentes maquettes de pages d'accueil. La version retenue est intégrée dans ce diaporama :
L'image de fond changera de façon aléatoire à chaque nouvelle session ou chaque fois que l'usager rafraîchira son navigateur. Qu'en pensez-vous?

mardi 8 novembre 2011

Futur site web des bibliothèques de Toulouse III: donnez-nous votre avis !


Depuis mars 2011, le Service Commun de Documentation de l'Université Toulouse III Paul Sabatier travaille conjointement avec le Pôle de Service Numérique à l'élaboration d'un nouveau site web pour les bibliothèques de l'UPS. La mise en ligne est prévue début 2012.
Voici la maquette avec le détail de quelques pages :

Cette maquette est une version plus récente et plus complète que la précédente postée sur le blog BloBuss. Elle intègre certaines des remarques faites par le Père Duchene et Mathieu Saby 27point7 (merci à eux!)

Quand vous regarderez cette maquette, gardez à l'esprit qu'il ne s'agit que de la structure du contenu des pages sans presque aucune mise en page: la charte graphique (images de fond, couleurs, mise en page, typographie, pictogrammes, etc.) sera créée ultérieurement. Ayez également à l'esprit les priorités auxquelles le site est destiné à répondre :
- Permettre un accès rapide à l'information en offrant notamment la possibilité de faire des recherches depuis n'importe quelle page y compris la page d'accueil
- Proposer un accompagnement individualisé interactif via des accès thématiques profilés selon l'internaute
- Permettre un accès rapide aux services proposés par les bibliothèques de l'UPS, y compris des services nouveaux ou innovants: questions posées aux bibliothécaires via une messagerie instantanée (chat), formations en ligne via des "web-confs", rendez-vous bibliographiques individualisés, réservation de salle de travail en groupe …
- Un site constituant un espace ouvert interactif de type web 2.0
- Permettre un accès facile et rapide aux informations pratiques
- Un accès nomade facile
- Un accès rapide aux actualités
Donnez-nous votre avis sur la maquette en laissant un commentaire sur le blog ou en envoyant un e-mail à pierre.naegelen@univ-tlse3.fr

En l'attente de vos réactions !

vendredi 19 août 2011

JSTOR, l'édition scientifique, le politique et les "hacktivists": le quatuor impossible?


Mise à jour du 8 septembre: l'agrégateur JSTOR a annoncé les 6 et 7 septembre qu'il avait pris la décision de rendre librement accessibles les articles de journaux antérieurs à 1923  pour les Etats-Unis et à 1870 pour le reste du monde. Dans la Foire aux Questions, JSTOR précise que cette décision avait été prévue avant les affaires Swartz et Maxwell. Depuis, les messages de félicitations adressés à JSTOR pleuvent sur Twitter. On retiendra notamment celui de Lawrence Lessig particulièrement emblématique:





L'actualité de l'édition scientifique a connu quelques remous récemment. Au départ, un "hacktivist" (un hacker militant si vous préférez) du nom d'Aaron Swartz, chercheur à Harvard et brillant informaticien, a téléchargé sur un ordinateur portable environ 4,8 millions d'articles provenant de la plate-forme de revues scientifiques JSTOR. Le 19 juillet dernier, le département américain de la Justice a annoncé la mise en examen du lecteur boulimique, pour fraude électronique, fraude informatique et obtention d'informations à partir d'un ordinateur protégé. Il encourt jusqu'à 35 ans de prison et 1 million d'amende.

JSTOR (Journal Storage), la cible de Swartz, n'est pas un éditeur, mais un agrégateur de revues scientifiques. JSTOR est un organisme à but non lucratif fondé en 1995 par la Fondation Andrew W. Mellon dans le but de numériser et de diffuser des revues académiques. JSTOR dessert actuellement plus de 7000 institutions dans 153 pays. Depuis 1995, JSTOR a numérisé près de 1400 revues académiques de plus de 800 éditeurs.

Le mode opératoire est le suivant: entre septembre 2010 et janvier 2011, Swartz s'est rendu à plusieurs reprises dans les locaux du Massachusetts Institute of Technology. A partir d'un ordinateur portable qu'il avait discrètement connecté aux placards des serveurs du réseau informatique du MIT, Swartz a mis en route un logiciel destiné à automatiser le téléchargement. Swartz a adopté une stratégie visant à éviter toute détection par les systèmes de surveillance de JSTOR, des plus rudimentaires aux plus sophistiqués: identifiants fictifs loufoques (Gary Host ou Grace Host abrégés en "GHost"), adresses mail fictives, modification de l'adresse IP et de l'adresse MAC.


On ne connaît pas à l'heure actuelle les motivations précises de Swartz. On peut cependant supposer comme le procureur Carmen Ortiz que Swartz projetait de partager les articles téléchargés sur un site de partage P2P. D'après l'acte d'accusation: "Swartz intended to distribute a significant portion of JSTOR's archive of digitized journal articles through one or more file-sharing sites". Le but supposé sera difficile à prouver par le procureur, puisque Swartz n'a jamais mis en ligne les documents. Cependant, (si elle était avérée), la finalité alléguée paraîtrait assez en conformité avec la ligne de conduite proclamée par Swartz en 2008 dans un manifeste intitulé "Guerrila Open Access Manifesto". D'abord publié sur son blog puis retiré sans doute suite à des pressions (Aaron Swartz était en 2009 sous le coup d'une enquête fédérale dans une autre affaire dont on parlera plus bas), ce manifeste reste toujours visible sur le site Pastebin. Dans son "Guerrilla Open Access Manifesto", Swartz conclut:
 We need to take information, wherever it is stored, make our copies and share them with the world. We need to take stuff that's out of copyright and add it to the archive. We need to buy secret databases and put them on the Web. We need to download scientific journals and upload them to file sharing networks....
 Pour autant, Swartz n'a pas mis les articles en ligne et en libre accès et le procureur n'a donc pas retenu de charges en rapport avec une violation de copyright.

 L'affaire a connu un second rebondissement: pour marquer son soutien à Swartz, un certain Greg Maxwell, ingénieur en informatique, a décidé de déposer sur le site P2P the Pirate Bay, 18 592 articles issus de la plate-forme JSTOR. Ces articles proviennent tous de la revue Philosophical Transactions of the Royal Society. L'acte ressemble à celui de Swartz, à ceci près que:
 1) Greg Maxwell a pris soin d'expliciter sa démarche dans un texte dont vous trouverez la traduction en Français par @marlened ici.
2) Maxwell estime avoir téléchargé tous les articles de façon parfaitement légale ("through rather boring and lawful means"). Probablement a-t-il construit son stock d'articles petit à petit sur plusieurs années: au contraire d'un téléchargement massif et automatisé, des téléchargements successifs et espacés peuvent échapper logiquement à la vigilance des gestionnaires des plates-formes éditoriales.
3) Tous les articles libérés étaient antérieurs à 1923 et font donc partie du domaine public au regard de la loi américaine du Sonny Bono Copyright Term Extension Act

Une fois les faits exposés, une série de questions se posent.


Stringquartet. Par chooyutshing. CC BY-NC-SA 2.0. Source: Flickr.



Première interrogation: pourquoi l'Etat fédéral lance-t-il une procédure à l'encontre de Swartz alors même que JSTOR n'a pas déposé plainte?

Dans une déclaration officielle, JSTOR explique n'avoir pas souhaité poursuivre Swartz en justice, après que que l'intéressé avait rendu les fichiers et après avoir "reçu la confirmation que le contenu n'était pas et ne serait pas utilisé, copié, transféré ou diffusé". 
Pourtant le département de la justice a décidé de mener une action en justice. Pourquoi? L'une des explications possibles est fournie par un article de la revue Wired (je traduis en élaguant):

En 2008, le système judiciaire fédéral a décidé de lancer un test pour l'accès gratuit du public au système  PACER, qui permet de faire des recherches sur  les décisions de justice. L'expérience a été étendue à 17 bibliothèques à travers le pays. Swartz s'est rendu à la bibliothèque de la septième Cour américaine d'appel de Chicago et a installé un petit script Perl qu'il avait écrit. Le code était conçu pour demander un nouveau document à partir de PACER toutes les trois secondes. De cette manière, Swartz a obtenu près de 20 millions de pages de documents de la cour. Or il se trouve que bien que les documents soient publics, PACER facture normalement huit cents la page. [...] Le FBI, chargé d'enquêter, avait fini par classer l'affaire.

Pour parler trivialement, il semblerait que le gouvernement fédéral, qui n'a pas réussi à "coincer" Swartz en 2008, ait quelques comptes à régler avec l'hacktivist... Et c'est pourquoi, il "met le paquet" en axant ses chefs d'accusation sur  le terrain criminel. Mais comme nous allons le voir, il eût été plus avisé d'en rester du côté du terrain civil.

FBI Warning.  Par Travelin' Librarian. CC-BY NC 2.0. Source: Flickr.



Deuxième interrogation: la procédure engagée par le département de la justice a-t-elle des chances d'aboutir?


Si l'on se fie à l'expertise très fine proposée par l'avocat Max Kennerly, les accusations correspondent mal aux faits constatés. Reprenons un à un les principaux chefs d'accusation:
 - Wire Fraud ("fraude électronique"): la jurisprudence a toujours interprété la fraude comme un stratagème pour extorquer de l'argent. A l'évidence, l'action d'Aaron Swartz n'entre pas dans ce cadre.
Computer Fraud ("fraude informatique"): même réponse. Swartz n'avait pas l'intention de dépouiller JSTOR, les auteurs ou les éditeurs diffusés par JSTOR.
- Recklessly damaging a Protected Computer ("dommage causé imprudemment à un ordinateur protégé"): JSTOR ne fait état dans sa déclaration d'aucune dégradation avérée de ses serveurs. JSTOR aurait confirmé n'avoir subi aucune perte ou aucun dommage, d'après Demand Progress, le site fondé par Aaaron Swartz.
- Unlawfully Obtaining Information from a Protected Computer ("Obtention illégale d'information à partir d'un ordinateur protégé"): en tout état de cause, Swartz, en tant que lecteur autorisé ("walking user") du MIT, disposait de toutes les autorisations requises pour consulter JSTOR. Qu'il ait travesti son identité sous des noms et des adresses e-mails fictives ne change rien à l'autorisation d'accès dont il bénéficiait. Tout au plus, le tort de Swartz est de ne pas avoir agi en conformité avec les Conditions Générales d'Utilisation: JSTOR prohibe l'usage de tout programme informatique permettant de télécharger automatiquement du contenu via des robots, spiders, crawlers, wanderers ou accélérateurs (§2.2.f).




Troisième interrogation: Existe-t-il une justification aux tarifs institutionnels exorbitants de JSTOR?


L'épithète "exorbitants" n'est pas... exagérée. Hélas, le secret professionnel m'impose de ne pas divulguer les montants versés par les universités françaises au titre des tarifs négociés par le consortium Couperin. Les sommes en jeu sont considérables.


Le constat le plus étonnant vient du fait que contrairement à bon nombre d'éditeurs scientifiques (et non des moindres: Elsevier, Wiley-blackwell, Springer...) qui ouvrent la possibilité d'un achat pérenne des archives, JSTOR ne propose qu'un abonnement perpétuel. Et toute rupture momentanée d'abonnement fait pedre à l'institution le bénéfice de l'antériorité des contenus. Au plan économique, dans le cas où une institution est contrainte par sa situation budgétaire de se désabonner temporairement puis de se réabonner, elle devra repayer son ticket d'entrée sous forme d'un montant forfaitaire assez élevé. Cette stratégie commerciale de fidélisation de clientèle par la contrainte n'est guère appréciée des institutions publiques, et semble particulièrement mal-venue quand elle émane d'un organisme à but non-lucratif.
Certes, comme l'indique Maria Bustillos, "l'accès est gratuit pour toute institution à but non lucratif sur le continent africain, (...), et dans un certain nombre de pays en développement dans d'autres parties du monde." Il n'en reste pas moins que le prix à payer par les autres institutions est tout sauf négligeable.

Un blog bien informé tente d'établir aussi précisément que possible la répartition interne des revenus provenant des abonnements institutionnels. Il en ressort que:
- 30 % sont destinés au paiement des éditeurs
- 10 % correspondent aux frais de fonctionnement des serveurs
- 40 % correspondent à la masse salariale
- 20 % correspondent à des frais administratifs divers (?)
On ne peut que s'interroger que le bien-fondé d'un tel modèle économique où 70% des charges sont englouties en frais de fonctionnement. La réponse de JSTOR sur ce point est des plus floues: “it is important to understand that there are costs associated with digitizing, preserving, and providing access to content.”


Quatrième interrogation: en quoi la démarche de Greg Maxwell se distingue-t-elle de celle d'Aaron Swartz?

Comme on l'a vu,  Greg Maxwell a a fait le choix de ne libérer que des articles antérieurs à 1923. Ce faisant, il pointe un problème spécifique : la privatisation par certains éditeurs et la monétisation de travaux scientifiques qui devraient relever du domaine public. Critique maintes fois adressée par certains tenants d'une réforme du droit de la propriété intellectuelle, comme ici, par Lawrence Lessig, dans l'ouvrage intitulé L'Avenir des Idées:

Un problème qui empoisonne souvent la vie des créateurs est celui des œuvres que l’on prétend couvertes par un droit d’auteur alors qu’elles ne le sont pas. Par exemple, il est courant que les éditeurs prétendent posséder un droit d’auteur que la loi ne leur accorde absolument pas, ainsi que le font les éditeurs de partitions, qui mentionnent souvent un copyright sur des œuvres tombées dans le domaine public.          

Cette pratique est une violation des lois existantes. C’est un délit que de prétendre posséder des droits d’auteur quand ce n’est pas le cas, mais la seule peine prévue par la loi aux États-Unis passe par une plainte déposée par un procureur. Il est évident que les procureurs ont mieux à faire ; personne n’a jamais été poursuivi pour une infraction de ce type. [...] Le Congrès pourrait autoriser des personnes privées à entamer des poursuites contre les fausses revendications de copyright. En cas de victoire, les plaignants pourraient alors se voir reconnaître des dommages en plus du remboursement de leurs frais. De plus, une fois rendues publiques, ces affaires pourraient changer le comportement des éditeurs.
 L'action de Greg Maxwell est ciblée sur les travaux scientifiques du domaine public. Elle met  en lumière un paradoxe contemporain: en pratique, on constate que certains biens communs peuvent faire l'objet de transactions consécutives à une appropriation exclusive par des acteurs privés.


 

Cinquième interrogation: qu'en pense Lawrence Lessig?

Le point de vue du professeur de droit à Harvard Lawrence Lessig sur l'affaire en cours, revêt une certaine  importance, pour deux raisons au moins. D'abord, Lessig est l'un des spécialistes mondiaux des questions touchant à l'open access et à la réforme du droit de la propriété intellectuelle; il est également le co-fondateur des Creative Commons dont l'une des finalités principales est de permettre une meilleure circulation et un meilleur partage des résultats de la recherche. Ensuite, Lessig connaît bien Aaron Swartz. Il avait fait appel à ses compétences en 2002 pour la conception du format de métadonnées des Creative Commons. Et depuis l'automne 2010, Swartz était devenu un collègue de Lessig au sein du Center for Ethics de Harvard. 

A l'occasion d'une conférence donnée au CERN en avril dernier, Lessig s'était déjà livré à quelques critiques acerbes concernant la politique tarifaire de JSTOR, notamment le coût des articles en pay per view

Concernant l'affaire Aaron Swartz, Lawrence Lessig a donné son point de vue dans un commentaire assez court. Le message de Lessig est un peu décevant en ce qu'il ne comporte que très peu d'analyse juridique du dossier. Du strict point de vue juridique, Lessig se contente d'émettre un doute sur la qualification criminelle des faits en constatant qu'il existe une incertitude considérable dans le domaine de la fraude informatique. Pour le reste, Lessig quitte le terrain juridique, pour adopter un point de vue moral. Quand bien même Aaron Swartz a des chances d'être relaxé, il n'en reste pas moins que son acte est condamnable d'un point de vue éthique:

Nonetheless, if the facts are true, even if the law is not clear, I, of course, believe the behavior is ethically wrong. I am a big supporter of changing the law. As my repeated injunctions against illegal file sharing attest, however, I am not a believer in breaking bad laws. I am not even convinced that laws that protect entities like JSTOR are bad. And even if sometimes civil disobedience is appropriate, even then the disobedient disobeys the law and accepts the punishment.
[...]
What it was is unclear. What the law will say about it is even more unclear. What is not unclear, however, to me at least, is the ethical wrong here. I have endless respect for the genius and insight of this extraordinary kid. I cherish his advice and our friendship. But I am sorry if he indeed crossed this line. It is not a line I believe it right to cross, even if it is a line that needs to be redrawn, by better laws better tuned to the times.
En  réalité, le silence prudent de Lessig s'explique du fait que, désormais, tout ce qu'il pourra déclarer est susceptible d'être utilisé ultérieurement à charge ou à décharge au cours du procès.

Lawrence Lessig et Aaron Swartz vers 2002. Source: The Awl

 Conclusion: qui dans le quatuor joue le plus faux?

Sous le flot de ces considérations, on en viendrait presque  à oublier un membre important du quatuor, qui a à cœur de faire entendre ses dissonances. Greg Maxwell et Aaron Swartz mettent en cause  l'attitude  des éditeurs qui profitent de leur position quasi-monopolistique pour monétiser à des prix parfois excessifs, l'accès aux résultats des travaux scientifiques. On se trouve en effet dans une situation ubuesque où les chercheurs sont amenés bien malgré eux à rétribuer les éditeurs deux à quatre fois:
- par la rédaction et la soumission d'articles dont  ils ne retirent aucune compensation financière
- par leur participation non rémunérée à l'activité de peer reviewing (relecture critique et sélective des papiers proposés à la publication par leurs collègues)
- par la participation financière de leurs laboratoires ou de leurs centres de documentation à l'abonnement ouvrant l'accès au texte intégral des revues
- de plus, la publication d'articles est soumise par certains éditeurs à l'acquittement d'un montant forfaitaire.

Est-ce à dire que la partition jouée par nos deux "hacktivists" ne visait pas à déstabiliser l'agrégateur de contenus JSTOR mais n'avait pour but que de chatouiller par des sons stridents les oreilles des éditeurs scientifiques ? Pas si sûr. Car dans le cas précis de JSTOR, la part des revenus perçus par les éditeurs n'excède pas 30% du chiffre d'affaires total de l'agrégateur, le reste étant absorbé par les dépenses de fonctionnement de JSTOR. On peut s'interroger sur le bien-fondé d'un tel modèle tarifaire, pour une organisation à but non lucratif, qui, comme elle le rappelle elle-même dans la déclaration déjà citée, a vocation à "fournir un accès abordable aux contenus scientifiques à quiconque en a besoin". Sans doute le procès sera-t-il l'occasion de jeter un peu de lumière sur cette zone d'ombre.

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Merci à @marlened pour sa traduction du texte de Greg Maxwel

vendredi 27 mai 2011

Création d'un site web de bibliothèque: la quadrature du cercle?


Mardi 31 mai a lieu à l'Université Toulouse 2 Le Mirail, la Journée Réseau des Bibliothèques de l'Université de Toulouse. La thématique de l'après-midi est: "Évoluer avec le web".Comme je suis moi-même chef de projet du groupe de travail de création d'un nouveau site web pour le SCD de l'Université Paul Sabatier Toulouse III, je suis amené à intervenir pour exposer une réflexion sur le sujet.Voici donc ma présentation. J'y reprends 4 des 5 grandes thèses du magnifique article de Bruno Latour sur les bibliothèques paru dans le Bulletin des Bibliothèques de France en janvier 2011:

  • Première thèse : la machine bibliothèque est «  une sphère dont le centre est partout et la circonférence nulle part  »
  • Deuxième thèse : la machine bibliothèque est de moins en moins virtuelle et de plus en plus réelle et matérielle
  • --> Cette thèse n’a pas d’incidence sur les modalités de création d’un site web de bibliothèque
  • Troisième thèse : la machine bibliothèque délie ce que le livre avait lié et déborde ce qu’il avait limité
  • Quatrième thèse : la machine bibliothèque devient encore plus importante qu’auparavant car elle doit réinventer les synthèses que l’éclatement des documents ne permet plus
  • Cinquième et dernière thèse : la machine bibliothèque fusionne avec les salles de classe et les centres de recherche


View more presentations from Pierre Naegelen

La conclusion est volontairement laissée en pointillés: car les conséquences du passage à l'ère des bibliothèques hybrides sont beaucoup plus vastes que la seule question de la médiation numérique. J'espère qu'elle suscitera des réactions (amicales) de l'assistance...

mercredi 20 avril 2011

La clause d'extraterritorialité est morte... Vive l'extraterritorialité


On a beaucoup glosé sur l'attitude du Ministre de la Culture Frédéric Mitterrand, qui a consisté à défendre devant le Sénat le 29 mars, l'idée que la loi sur le Prix Unique du Livre Numérique devrait être opposable aux revendeurs de e-books établis en dehors de la France, puis à soutenir la position contraire quelques jours plus tard, le 7 avril, devant les députés. A l'issue des débats et du vote à la chambre basse, certains ont également déploré ici ou là l'abandon par les députés de la clause d'extraterritorialité au profit du dispositif classique du contrat de mandat. Mais la clause a-t-elle été vraiment abandonnée?


Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà... (Cotton Clouds. Par tochis. CC-BY-NC 2.0. Source: Flickr)

Revenons d'abord sur les raisons qui ont poussé les députés à ne pas valider le principe d'une applicabilité de la loi aux revendeurs situés en dehors du territoire national. En premier lieu, il paraissait techniquement difficile de contrôler l'ensemble des transactions de la chaîne du livre numérique à un niveau européen ou mondial. Ensuite, un tel dispositif aurait été sanctionné par l'Union Européenne au nom du principe de concurrence libre et non faussée.

Mais par ailleurs, dans l'esprit des sénateurs, la clause d'extraterritorialité était destinée à protéger les éditeurs français contre les tentatives de "dumping" pratiquées par les plateformes de vente installées à l'étranger.

Afin de trouver une solution de compromis, le rapporteur de la commission des affaires culturelles et de l'éducation Hervé Gaymard a proposé un dispositif assez nouveau qui ne fait pas disparaître totalement les effets positifs de l'extraterritorialité. L'amendement proposé par Gaymard, adopté la veille en commission dispose en effet que "le prix d'un livre numérique vendu par contrat [de mandat] à un distributeur établi hors du territoire national ne peut être inférieur au prix déterminé par l'éditeur pour le territoire national".

Autrement dit, le dispositif Gaymard opère un triple glissement:
- un déplacement du poids de la contrainte de la loi. Ce n'est plus aux revendeurs de e-books situés en dehors du territoire national de se conformer aux prix fixés par les éditeurs nationaux au nom de la clause d'extraterritorialité. C'est aux éditeurs français de se conformer aux dispositions de la loi, qui leur interdit d'autoriser la revente de leurs e-books par des revendeurs situés hors de France à un prix inférieur à celui qu'ils ont eux-mêmes fixé. En quelque sorte, avec l'amendement Gaymard, la loi opère un retour à l'intérieur des frontières nationales, pour ne plus assujettir (du moins directement) que des entreprises situées en France. Voilà pourquoi Hervé Gaymard peut déclarer qu'avec ce dispositif, on retombe dans le cadre d'un dispositif législatif "classique": "À mes yeux, ce dispositif de bon sens est tout à fait opérationnel, car il respecte la loi française applicable et reste dans le cadre du territoire français, ce qui exclut toute incertitude quant à l’application."
- le passage à un contrôle seulement indirect et partiel des politiques tarifaires des revendeurs extra-nationaux : les distributeurs situés à l'étranger sont désormais libres de revendre les livres des éditeurs français au prix qui leur convient... à condition que ce prix ne soit pas inférieur au prix fixé par les éditeurs français. Le prix de revente en dehors de la France n'est donc que partiellement libre. Sauf erreur, l'amendement consacre bel et bien le retour à peine déguisé d'une règle d'extraterritorialité a minima.
- un renversement de la charge de la preuve. Supposons qu'un distributeur situé en dehors du territoire français revende des livres numériques produits par un éditeur français à un prix inférieur à celui fixé par ce dernier pour la vente sur le territoire français. D'après l'amendement Gaymard, il revient à l'éditeur français seul d'appliquer les règles de fixation des prix mises en place par la loi. La charge de la preuve pèsera donc sur l'éditeur: c'est à lui qu'il reviendra de démontrer qu'il n'a pas autorisé via un contrat de mandat la revente des e-books à un prix inférieur à celui qu'il avait fixé. 

Quant au revendeur, dans ce cas de figure, il pourrait très bien ne pas être inquiété. On peut se demander au nom de quoi sa politique tarifaire pourrait être sanctionnée, puisque, d'après l'amendement Gaymard, le poids de la contrainte de la loi ne pèsera que sur l'éditeur français. Du moment que la revente a été validée en amont par un contrat avec l'éditeur, seul ce dernier pourrait être considéré comme fautif pour avoir concédé au premier un prix inférieur à ce qu'il aurait dû être. 


Si la loi est votée un jour en France, on a hâte d'assister aux premiers contentieux: quelle sera la jurisprudence française et européenne en la matière...?



mardi 19 avril 2011

Loi PULN: librairie vs library?

Les bibliothèques de lecture publique, les musées et les services d'archives, ainsi que les établissements d'enseignement primaire et secondaire, risquent d'être les premiers laissés pour compte du texte de loi sur le Prix Unique du Livre Numérique tel qu'il a été voté par le Sénat le 29 mars dernier, puis moyennant des amendements qui n'ont pas modifié l'article 3 al. 2, par l'Assemblée Nationale le 7 avril.

Contrairement à ce qui a pu être avancé ici ou là, la demande de ces institutions de bénéficier d'une exception au cadre du dispositif de Prix Unique du Livre Numérique ne porte pas atteinte à l'objectif rappelé par Frédéric Mitterrand mardi 29 mars au Sénat, "qui consiste à préserver la diversité éditoriale en prenant appui sur un riche réseau de détaillants" constitué de 3500 librairies indépendantes. 

Pour Colette Mélot, Vice-Présidente de la Commission de la Culture, de la Communication et de l'Education au Sénat, faire sortir les bibliothèques de lecture publique, les musées et les services d'archives, ainsi que les établissements d'enseignement primaire et secondaire du cadre de la loi sur le Prix Unique du Livre Numérique "pourrait avoir des effets contraires aux objectifs généraux fixés par la proposition de loi, puisque cela reviendrait à évincer les libraires du marché de la vente de contenus numériques aux collectivités" (discussions du 29 mars). Ce raisonnement repose sur un syllogisme du type: ces institutions veulent négocier les prix "en direct" avec les éditeurs, elles se passeront des  libraires pour cette étape de négociation, donc elles achèteront les livres électroniques directement auprès des éditeurs.

L'argument est aisément démontable, car il fait l'impasse sur le dispositif existant mis en place par le Code des Marchés: certes ces institutions souhaitent négocier avec les éditeurs comme les bibliothèques publiques le font déjà par le biais du consortium CAREL pour l'acquisition de ressources électroniques, mais cela ne signifie en aucune façon que les libraires sont écartés; car, du moment que le seuil des 4000 € est atteint (1),ces acquisitions sont opérées dans le cadre de marchés publics qui viennent préciser le revendeur sélectionné par chaque collectivité: ce peut être une agence d'abonnement ou un libraire, ce n'est en aucun cas un éditeur. 

C'est pourquoi il aurait fallu inclure de façon plus large dans l'exception dont bénéficient pour l'instant seules les bibliothèques de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche : les bibliothèques, les musées et les services de documentation et d'archives, ainsi que tous les niveaux d'enseignement.

Dans une déclaration datée du 3 avril, les élus de la FNCC, la Fédération Nationale des  Collectivités territoriales pour la Culture, "attirent (...) l’attention des parlementaires sur la pertinence d’étendre cette exemption aux bibliothèques publiques, aux institutions culturelles territoriales (musées, archives…) ainsi qu’au cadre scolaire (notamment aux établissements du second degré). Rien, en effet, ne saurait justifier de soumettre aux mêmes conditions que les particuliers des réseaux entièrement consacrés à une mission de service public."

On ne saurait mieux dire...



(1) L'arrêt du Conseil d'Etat du 10 février 2010 a annulé le décret n°2008-1356 du 19 décembre 2008 relatif au relèvement de certains seuils du Code des Marchés Publics et qui avait élevé le seuil minimal de passation d'un marché à 20 000 € au lieu du seuil des 4000 € prévu par l’article 28 du même Code.

E-books et TVA


Le 14 décembre 2010, la commission mixte paritaire entre députés et sénateurs a validé l’application de la TVA à 5,5 % sur le livre numérique, mais en a reporté la mise en œuvre au 1er janvier 2012. Cette décision fait suite au vote du Sénat portant sur l'adoption de la TVA réduite à 5.5% sur les livres numériques dits "homothétiques", simples facs-similés de la version papier. Le texte adopté soulève plusieurs problèmes d'application.


1) Evacuons d'emblée le cas le plus simple: l'éditeur ou l'agrégateur propose une version numérisée du texte sans enrichissement particulier. Dans ce cas, c'est dorénavant la TVA à 5.5% que l'on pourrait appliquer, à condition que le texte soit téléchargeable en son intégralité (cf infra).


2) On pourrait imaginer le cas où un éditeur propose une offre hybride: les livres numériques proposés sont à la fois disponibles sous format pdf ou ePUB ou PRC et sous format html. Les trois premiers formats (quand le texte n'est pas enrichi par des liens hypertextes) présentent souvent une copie fidèle du livre imprimé, mais il n'en est pas toujours de même pour le texte en format html (format destiné à une lecture à l'écran et comportant généralement des liens hypertexte). Quel régime fiscal doit-on alors appliquer: le régime fiscal du livre numérique "homothétique" ou bien le régime fiscal des services fournis par voie électronique ?


3) Certains éditeurs ou agrégateurs ne proposent qu'une version html du texte initial, mais sans aucun enrichissement notable par rapport à la version papier. Dans ce troisième cas de figure, a-t-on affaire à des livres homothétiques ? L'article additionnel du projet de loi nous invite à répondre de la manière suivante: oui si on peut les télécharger, non dans le cas contraire. En effet, le projet de loi prévoit une application de la taxe à 5.5% sur les "livres sur tout type de support physique, y compris ceux fournis par téléchargement". Autrement dit, la fonctionnalité du téléchargement permet d'assimiler un livre électronique, par définition dématérialisé, à un livre sur support physique, du moment que du point de vue du contenu, il est (relativement) fidèle à la version papier.


En somme, le livre électronique auquel s'appliquerait le taux réduit doit réunir deux critères:
a)- un critère de contenu: le texte doit constituer une copie la plus fidèle possible du texte sur version papier. L'enrichissement du texte initial n'est pas banni, mais il doit être suffisamment peu important pour être considéré comme mineur (une table de sommaire dynamique ou un renvoi de note hypertexte, par exemple)
b)- un critère de forme: la possibilité d'un téléchargement.


Une nouvelle question surgit avec ce second critère: quid des livres homothétiques pour lesquels le fournisseur (éditeur, agrégateur...) n'autorise le téléchargement que d'une partie de l'oeuvre? Cette restriction (consécutive à l'apposition de DRM) fait-elle perdre au livre numérique son éligibilité à une fiscalité réduite?


Enfin, il reste à émettre des interrogations sur le champ d'application exact du projet de loi. Dans les raisonnements présentés ci-dessus, nous avons fait comme si le projet ne s'appliquait qu'aux livres homothétiques (critère de contenu), parce que c'est en ce sens que les sénateurs entendaient que l'amendement soit compris:"Cet amendement vise à établir le taux de TVA applicable au livre numérique dit « homothétique », tel que défini à l’article premier de la proposition de loi relative au prix du livre numérique adopté par le Sénat le 26 octobre 2010, au même taux réduit de 5,5 % que le livre «papier»."
Cependant, la définition dans l'article additionnel des livres éligibles à un taux réduit déborde, semble-t-il, très largement le cadre des livres homothétiques: sont visés les "livres sur tout type de support physique, y compris ceux fournis par téléchargement". A la lettre, toute acquisition de livre numérique téléchargeable pourrait faire l'objet d'une fiscalité à taux réduit....
D'où une ultime interrogation: les parlementaires n'auraient-ils pas ainsi involontairement permis une extension de l'application du taux réduit à TOUS les livres numériques, du moment qu'ils sont téléchargeables?