La Cour de Justice de l'Union Européenne a rendu sa décision mercredi 16 novembre dans l'affaire ReLIRE. La CJUE suit globalement les conclusions de l'Avocat Général Melchior Wathelet dont j'avais parlé dans un précédent billet. La question préjudicielle posée par le Conseil d'Etat était la suivante :
« Les [articles 2 et 5] de la directive 2001/29 s’opposent-[ils] à ce qu’une réglementation, telle que celle qui a été [instituée par les articles L. 134-1 à L. 134-9 du code de la propriété intellectuelle], confie à des sociétés de perception et de répartition des droits agréées l’exercice du droit d’autoriser la reproduction et la représentation sous une forme numérique de “livres indisponibles”, tout en permettant aux auteurs ou ayants droit de ces livres de s’opposer ou de mettre fin à cet exercice, dans les conditions qu’elle définit ? »
La CJUE répond trois fois "oui".
Une réglementation triplement incompatible avec le droit communautaire
1° La liste des exceptions et des limitations au droit d'auteur de l'article 5 "revêt un caractère exhaustif"
Une législation nationale ne saurait donc créer de toutes pièces une nouvelle exception.
2° La loi française ne garantit pas "l'information effective et individualisée des auteurs"
Or " tout auteur doit être effectivement informé de la future utilisation de son œuvre par un tiers et des moyens mis à sa disposition en vue de l’interdire s’il le souhaite."
3° Les modalités de retrait du dispositif ReLIRE sont doublement incompatibles avec le régime de la directive européenne
1° Atteinte au droit exclusif des auteurs
Rappelons que parmi les trois types de démarches possibles pour les auteurs qui souhaitent la sortie de leurs ouvrages de la gestion collective au-delà des 6 mois suivant la publication du registre ReLIRE, figure l'hypothèse du retrait conjoint de l'auteur et de l'éditeur. Or dit la Cour, "ce droit doit pouvoir être exercé sans devoir dépendre, dans certains cas, de la volonté concordante de personnes autres que celles que cet auteur a préalablement autorisées à procéder à une telle exploitation numérique, et donc de l’accord de l’éditeur ne détenant, par ailleurs, que les droits d’exploitation de ladite œuvre sous une forme imprimée."
On notera au passage le coup de boutoir porté par la Cour aux fondements mêmes de la loi française. Car incidemment, la Cour estime invalide le mécanisme sous-jacent à la loi, qui permet aux éditeurs de récupérer leurs droits sur l'exploitation numérique des livres, quand bien même l’œuvre imprimée était techniquement "épuisée" depuis plusieurs années.
2° le formalisme est une atteinte à la jouissance et à l'exercice des droits d'auteur
Comme l'avait relevé dès 2013 le collectif Le droit du Serf en déposant auprès du Conseil d'Etat un recours pour excès de pouvoir, les formalités imposées par la législation française, sont en contradiction avec les principes énoncés par la Convention de Berne et le Traité de l'OMPI. Parmi les trois types de retraits visant à la sortie de la gestion collective au-delà des 6 mois suivant la publication du registre ReLIRE, la loi du 1er mars 2012 prévoit le cas du retrait de l’auteur en tant que seul titulaire des droits numériques: "l'auteur d'un livre indisponible peut décider à tout moment de retirer à la société de perception et de répartition des droits mentionnée au même article L. 134-3 le droit d'autoriser la reproduction et la représentation du livre sous une forme numérique s'il apporte la preuve qu'il est le seul titulaire des droits définis audit article L. 134-3". Le décret d'application du 27 février 2013 précise que l'auteur "produit à l'appui de sa demande de retrait tout élément probant". C'est précisément cette inversion de la charge de la preuve de la titularité des droits, qui s'accompagne inévitablement d'un formalisme, qui est sanctionnée par la Cour :
Il en découle, notamment, que, dans le cadre d’une réglementation telle que celle en cause au principal, l’auteur d’une œuvre doit pouvoir mettre fin à l’exercice, par un tiers, des droits d’exploitation sous forme numérique qu’il détient sur cette œuvre, et lui en interdire ce faisant toute utilisation future sous une telle forme, sans devoir se soumettre au préalable, dans certaines hypothèses, à une formalité consistant à prouver que d’autres personnes ne sont pas, par ailleurs, titulaires d’autres droits sur ladite œuvre, tels que ceux portant sur son exploitation sous forme imprimée.
Par conséquent, les termes de de la directive "Infosoc" de 2001 s'opposent à ce que la loi du 1er mars 2012 relative à l'exploitation numérique des livres indisponibles du XXe siècle instaure un mécanisme de nature à confier à une société de perception et de répartition des droits (la SOFIA en l'occurrence) "l’exercice du droit d’autoriser la reproduction et la communication au public, sous une forme numérique, de livres dits « indisponibles »".
La "taxe Google Images" bientôt dans le viseur de la CJUE ?
Comme l'a relevé immédiatement Calimaq, il existe une autre loi dont une disposition spécifique présente un grand nombre de traits communs avec la loi sur les indisponibles. La toute récente loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine prévoit en effet un mécanisme similaire de mise en gestion collective des images diffusées en ligne, sans l'accord préalable des auteurs :
Art. L. 136-2.-I.-La publication d'une œuvre d'art plastique, graphique ou photographique à partir d'un service de communication au public en ligne emporte la mise en gestion, au profit d'une ou plusieurs sociétés régies par le titre II du livre III de la présente partie et agréées à cet effet par le ministre chargé de la culture, du droit de reproduire et de représenter cette œuvre dans le cadre de services automatisés de référencement d'images. A défaut de désignation par l'auteur ou par son ayant droit à la date de publication de l'œuvre, une des sociétés agréées est réputée gestionnaire de ce droit.
« II.-Les sociétés agréées sont seules habilitées à conclure toute convention avec les exploitants de services automatisés de référencement d'images aux fins d'autoriser la reproduction et la représentation des œuvres d'art plastiques, graphiques ou photographiques dans le cadre de ces services et de percevoir les rémunérations correspondantes fixées selon les modalités prévues à l'article L. 136-4. Les conventions conclues avec ces exploitants prévoient les modalités selon lesquelles ils s'acquittent de leurs obligations de fournir aux sociétés agréées le relevé des exploitations des œuvres et toutes informations nécessaires à la répartition des sommes perçues aux auteurs ou à leurs ayants droit.
Il s'agit d'une véritable "mainmise légale" (Marc Rees), de nature à générer ce qu'il convient d'appeler purement et simplement une "pompe à fric" au profit des sociétés désignées pour la perception et la répartition des droits, étant donné qu'une très grande partie des sommes collectées resteront, du fait de l'impossibilité de l'identification de leurs auteurs, tout bonnement irrépartissables.
Mais au vu du récent arrêt de la Cour de Justice de l'Union, Européenne, il n'y a aucun doute possible sur l'incompatibilité de la "taxe Google Images" avec le droit communautaire.