Pour un plan national pour la culture ouverte, l’éducation ouverte et la santé ouverte
Je republie ici le texte paru sur le site Framasoft et co-signé par Lionel Maurel, Silvère Mercier et Julien Dorra.
Crise ou pas crise, nous avons tout le temps besoin d’un savoir ouvert
La crise sanitaire du coronavirus nous oblige à réévaluer ce qui est
fondamental pour nos sociétés. Les personnes essentielles sont bien
souvent celles qui sont invisibilisées et même peu valorisées
socialement en temps normal. Tous les modes de production sont
réorganisés, ainsi que nos formes d’interaction sociale, bouleversées
par le confinement.
Dans ce moment de crise, nous redécouvrons de manière aigüe
l’importance de l’accès au savoir et à la culture. Et nous constatons,
avec encore plus d’évidence, les grandes inégalités qui existent parmi
la population dans l’accès à la connaissance. Internet, qui semble
parfois ne plus être qu’un outil de distraction et de surveillance de
masse, retrouve une fonction de source de connaissance active et
vivante. Une mediathèque universelle, où le partage et la création
collective du savoir se font dans un même mouvement.
Face à cette situation exceptionnelle des institutions culturelles ou
de recherche, rejointes parfois par des entreprises privées, font le
choix d’ouvrir plus largement leurs contenus. On a pu ainsi voir des
éditeurs donner un accès direct en ligne à une partie des livres de leur
catalogue. En France, plusieurs associations de bibliothèques et
d’institutions de recherche ont demandé aux éditeurs scientifiques de libérer
l’intégralité des revues qu’ils diffusent pour favoriser au maximum la
circulation des savoirs et la recherche. Aux États-Unis, l’ONG Internet
Archive a annoncé le lancement d’une National Emergency Library libérée de toutes les limitations habituelles, qui met à disposition pour du prêt numérique 1,4 millions d’ouvrages numérisés.
« Personne ne doit être privé d’accès au savoir en ces temps de
crise », entend-on. « Abaissons les barrières au maximum ». L’accès
libre et ouvert au savoir, en continu, la collaboration scientifique et
sociale qu’il favorise, ne sont plus seulement un enjeu abstrait mais
une ardente nécessité et une évidence immédiate, avec des conséquences
vitales à la clé.
Il aura fallu attendre cette crise historique pour que cette prise de conscience s’opère de manière aussi large.
Cet épisode aura aussi, hélas, révélé certaines aberrations criantes du système actuel.
Ainsi, le portail FUN a décidé de réouvrir l’accès aux nombreux MOOC
(Massive Online Open Courses) qui avaient été fermés après leur période
d’activité. Ces MOOC « à la française » n’avaient donc, dès le départ,
qu’une simple étiquette d’ouverture et vivent selon le bon vouloir de
leurs propriétaires.
Pire encore, le Centre National d’Enseignement à Distance (CNED) s’est opposé à la diffusion de ses contenus
en dehors de son propre site au nom de la « propriété intellectuelle ».
L’institution nationale a envoyé des courriers de menaces à ceux qui
donnaient accès à ses contenus, alors que ses serveurs étaient
inaccessibles faute de soutenir l’affluence des visiteurs. Voici donc
mise en lumière l’absurdité de ne pas diffuser sous licence libres ces
contenus pourtant produit avec de l’argent public.
Quelques semaines avant le développement de cette crise, le syndicat CGT-Culture publiait une tribune… contre la libre diffusion
des œuvres numérisées par la Réunion des Musées Nationaux. On voit au
contraire à la lumière de cette crise toute l’importance de l’accès
libre au patrimoine culturel ! Il faut que notre patrimoine et nos
savoirs circulent et ne soient pas sous la dépendance d’un acteur ou
d’un autre !
Ces exemples montrent, qu’au minimum, une équation simple devrait
être inscrite en dur dans notre droit sans possibilité de dérogation :
Ce qui est financé par l’argent public doit être diffusé en accès
libre, immédiat, irréversible, sans barrière technique ou tarifaire et
avec une liberté complète de réutilisation.
Cela devrait, déjà, s’appliquer aux données publiques : l’ouverture
par défaut est une obligation en France, depuis 2016 et la Loi
République Numérique. Cette obligation est hélas largement ignorée par les administrations, qui privent ainsi des moyens nécessaires ceux qui doivent la mettre en œuvre dans les institutions publique.
Mais toutes les productions sont concernées : les logiciels, les
contenus, les créations, les ressources pédagogiques, les résultats,
données et publications issues de la recherches et plus généralement
tout ce que les agents publics produisent dans le cadre de
l’accomplissement de leurs missions de service public.
Le domaine de la santé pourrait lui aussi grandement bénéficier de
cette démarche d’ouverture. Le manque actuel de respirateurs aurait pu
être amoindri si les techniques de fabrications professionnelles et des
plans librement réutilisables avaient été diffusés depuis longtemps, et
non pas en plein milieu de la crise, par un seul fabricant pour le moment, pour un seul modèle. Image
colorisée d’une cellule infectée (en vert) par le SARS-COV-2 (en
violet) – CC BY NIAID Integrated Research Facility (IRF), Fort Detrick,
Maryland
Ceci n’est pas un fantasme, et nous en avons un exemple immédiat : en
2006, le docteur suisse Didier Pittet est catastrophé par le coût des
gels hydro-alcooliques aux formules propriétaires, qui limite leurs
diffusions dans les milieux hospitaliers qui en ont le plus besoin. Il
développe pour l’Organisation Mondiale de la Santé une formule de gel
hydro-alcoolique libre de tout brevet, qui a été associée à un guide de production locale
complet pour favoriser sa libre diffusion. Le résultat est
qu’aujourd’hui, des dizaines de lieux de production de gel
hydro-alcoolique ont pu démarrer en quelques semaines, sans
autorisations préalables et sans longues négociations.
Beaucoup des barrières encore imposées à la libre diffusion des
contenus publics ont pour origine des modèles économiques aberrants et
inefficaces imposés à des institutions publiques, forcées de
s’auto-financer en commercialisant des informations et des connaissances
qui devraient être librement diffusées.
Beaucoup d’obstacles viennent aussi d’une interprétation maximaliste
de la propriété intellectuelle, qui fait l’impasse sur sa raison d’être :
favoriser le bien social en offrant un monopole temporaire.
Se focaliser sur le moyen – le monopole – en oubliant l’objectif – le
bien social – paralyse trop souvent les initiatives pour des motifs
purement idéologiques.
La défense des monopoles et le propriétarisme paraissent aujourd’hui
bien dérisoires à la lumière de cette crise. Mais il y a un grand risque
de retour aux vieilles habitudes de fermeture une fois que nous serons
sortis de la phase la plus aigüe et que le confinement sera levé.
Quand l’apogée de cette crise sera passée en France, devrons-nous
revenir en arrière et oublier l’importance de l’accès libre et ouvert au
savoir ? Aux données de la recherche ? Aux enseignements et aux manuels
? Aux collections numérisées des musées et des bibliothèques ?
Il y a toujours une crise quelque part, toujours une jeune chercheuse
au Kazakhstan qui ne peut pas payer pour accéder aux articles
nécessaires pour sa thèse, un médecin qui n’a pas accès aux revues sous
abonnement, un pays touché par une catastrophe où l’accès aux lieux
physiques de diffusion du savoir s’interrompt brusquement. Si l’accès au savoir sans restriction est essentiel, ici et
maintenant, il le sera encore plus demain, quand il nous faudra
réactiver l’apprentissage, le soutien aux autres, l’activité humaine et
les échanges de biens et services. Il ne s’agit pas seulement
de réagir dans l’urgence, mais aussi de préparer l’avenir, car cette
crise ne sera pas la dernière qui secouera le monde et nous entrons dans
un temps de grandes menaces qui nécessite de pouvoir anticiper au
maximum, en mobilisant constamment toutes les connaissances disponibles.
Accepterons-nous alors le rétablissement des paywalls qui sont tombés
? Ou exigerons nous que ce qui a été ouvert ne soit jamais refermé et
que l’on systématise la démarche d’ouverture aujourd’hui initiée ? Photographie Nick Youngson – CC BY SA Alpha Stock ImagesPour avancer concrètement vers une société de l’accès libre au savoir, nous faisons la proposition suivante :
Dans le champ académique, l’État a mis en place depuis 2018 un Plan National Pour la Science Ouverte, qui a déjà commencé à produire des effets concrets pour favoriser le libre accès aux résultats de la recherche.
Nous proposons que la même démarche soit engagée par l’État dans d’autres champs, avec un Plan National pour la Culture Ouverte, un Plan National pour l’Éducation Ouverte, un Plan National pour la Santé Ouverte, portés par le ministère de la Culture, le ministère de l’Education Nationale et le ministère de la Santé.
N’attendons pas de nouvelles crises pour faire de la connaissance un bien commun.
Silvère Mercier, engagé pour la transformation de l’action publique et les communs de capabilités;
Julien Dorra, Cofondateur de Museomix.
Nous appelons toutes celles et tous ceux qui le peuvent à le
republier de la manière qu’elles et ils le souhaitent, afin
d’interpeller les personnes qui peuvent aujourd’hui décider de lancer
ces plans nationaux: ministres, députés, directrices et directeurs
d’institutions. Le site de votre laboratoire, votre blog, votre
Twitter, auprès de vos contacts Facebook: tout partage est une manière
de faire prendre conscience que le choix de l’accès et de la diffusion
du savoir se fait dès maintenant.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
N'hésitez pas à commenter ce billet ! Scindez votre commentaire en plusieurs parties, si votre message est long (la plateforme Blogger demande de ne pas dépasser 4096 caractères par commentaire). Avant de le publier, je vous conseille de prendre le temps de le sauvegarder ailleurs (mail, fichier texte, etc), surtout si votre message est long. Car plusieurs lecteurs de ce blog m'ont signalé qu'ils avaient "perdu" le commentaire qu'ils avaient tenté de publier. En cas de problème, vous pouvez m'envoyer vos commentaires à l'adresse pierre.naegelen@univ-tlse3.fr, et je les republierai sur le blog.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
N'hésitez pas à commenter ce billet !
Scindez votre commentaire en plusieurs parties, si votre message est long (la plateforme Blogger demande de ne pas dépasser 4096 caractères par commentaire).
Avant de le publier, je vous conseille de prendre le temps de le sauvegarder ailleurs (mail, fichier texte, etc), surtout si votre message est long. Car plusieurs lecteurs de ce blog m'ont signalé qu'ils avaient "perdu" le commentaire qu'ils avaient tenté de publier.
En cas de problème, vous pouvez m'envoyer vos commentaires à l'adresse pierre.naegelen@univ-tlse3.fr, et je les republierai sur le blog.