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lundi 23 décembre 2013

Le jour où HAL sera une archive vraiment ouverte...

Mise à jour du 17 juin 2014 . Les Creative Commons seront implémentées sur la version 3 de HAL, qui devrait être mise en production à compter d'octobre. Pour les fichiers auteur, les déposants auront la possibilité d'apposer la licence de leur choix. Même si aucune licence ne sera proposée par défaut, l'implémentation des CC constitue une avancée majeure pour les archives ouvertes françaises. Pour se faire une idée des autres nouveautés, se reporter à ce storify réalisé par @freddie2310 

Le bruit court depuis quelques jours : à l'avenir, une licence Creative Commons par défaut sera bientôt disponible sur HAL.




La garantie d'une véritable ouverture


Voilà une perspective qui, si elle était mise en application, permettrait à HAL de devenir une archive pleinement ouverte. Rappelons en effet que, actuellement, la licence par défaut qui s'applique aux articles déposés dans HAL relève du droit d'auteur "classique". Cela signifie qu'aucune réutilisation des articles n'est possible sans l'accord exprès des auteurs. Ce que l'on traduit souvent par la mention "tous droits réservés" [au bénéfice des auteurs]. Il s'agit d'une ouverture des données en trompe-l’œil : HAL a beau être qualifiée d'archive "ouverte", la réutilisation des articles est bloquée. L'archive HAL a été  conçue pour une "communication scientifique directe", non pour une réutilisation directe, et ce, en dépit du principe d'ouverture des données, maintes fois réaffirmé depuis la déclaration de la "Budapest Open Access Initiative" de 2001.
Les licences Creative Commons constituent un renversement de la logique du droit d'auteur. Ce n'est plus une interdiction de réutilisation qui s'exprime a priori, c'est au contraire une autorisation donnée par l'auteur, moyennant le respect de certaines clauses. Ce que l'on traduit souvent par la mention "certains droits réservés". L'autorisation de réutilisation devient la règle, les interdictions l'exception. Les licences Creative Commons constituent donc un outil parfaitement adapté pour garantir une véritable ouverture des données.

Deux questions centrales entourent la perspective d'une implémentation des licences Creative Commons au sein de HAL. L'une de nature juridique, l'autre de nature politique.

CC-BY-NC ou CC-BY-SA ?


Quelle licence Creative Commons est à privilégier ? CC-BY-NC ou CC-BY-SA?
La clause "NC" ("Non Commercial") a pour finalité de bloquer les réutilisations commerciales. Dans un article récent, Pierre-Carl Langlais démontre bien qu'il est assez illusoire de prévenir un  tel type de réutilisation. Car l'exploitation commerciale est protéiforme et ne se laisse pas appréhender par une définition simple. Elle ne se traduit pas nécessairement par une transaction financière. Dans le cas des réseaux sociaux scientifiques, (Researchgate, OpenScience, MyScienceWork, etc), l'inscription est gratuite et les membres déposent ou consultent des articles moyennant la fourniture de données personnelles. On  connaît la formule: "si c'est gratuit, c'est vous le produit". Mais si c'est gratuit, s'agit-il bien d'une exploitation commerciale ?
Dans le même article, Pierre-Carl Langlais opte pour la licence CC-BY-SA. La clause  "SA" ("Share Alike": partage à l'identique) impose aux réutilisateurs d'apposer la même licence ouverte sur les contenus réutilisés. Ne nous méprenons pas: la licence CC-BY-SA ne freine pas davantage la réutilisation commerciale... Prenons le cas de Wikipedia. Tous les articles sont diffusés sous licence CC-BY-SA. Ce qui n'empêche aucunement la société Orange de les réutiliser à des fins commerciales (par le rajout de logos et de publicités) sur ses portails wikipedia.orange.fr et encyclo.voila.fr.  
Alors, à quoi sert la clause de partage à l'identique ? Sa véritable finalité est autre. Il ne s'agit pas de bloquer les réutilisations commerciales mais de garantir le maintien d'une véritable ouverture des données. Ainsi, pour reprendre l'exemple d'Orange, les articles de Wikipedia réutilisés sur les sites miroirs se voient apposer la même licence que les articles originaux, et Orange est dans l'impossibilité de revendiquer un droit de paternité sur les contenus, ou de bloquer leur réutilisation. La licence CC-BY-SA est un frein aux "enclosures informationnelles". Le réutilisateur ne peut ajouter des mentions légales ou une fausse déclaration de droit d'auteur bloquant la réutilisation des contenus.

Et la question du politique, là-dedans ?


L'autonomie des chercheurs est un principe intangible (en France). Il est donc hors de question d'imposer une licence-type pour tous les contenus déposés sur HAL.
Imposer à tous les chercheurs un type de licence ouverte unique ne serait envisageable que sur la base d'une législation ad hoc. L'Allemagne a récemment légiféré en ce sens.
Mais plutôt que d'attendre une hypothétique modification du cadre législatif, ou du moins l'affichage d'un engagement ministériel clair,  il existerait un moyen simple pour le CCSD d'inciter les chercheurs à déposer leurs articles dans HAL sous une licence Creative Commons.

Partons d'un exemple. Les cours de l'école d'ingénieurs Telecom Bretagne sont tous proposés sous licence CC-BY-NC-SA. Il s'agit d'une licence par défaut. Comme l'explique Michel Briand, "chaque auteur de contenus pédagogique est maître du choix de la diffusion ou pas. Il est intéressant de constater qu'aucun des 10 % d'Enseignants-Chercheurs qui mettent leur cours en ligne (100% le sont en intranet) n'a refusé la licence Creative Commons et que seuls quelques Enseignants-Chercheurs ont élargi les clauses de réutilisation (CC-BY ou CC-BY-SA)."
On a vu plus haut les limites de la clause NC. Cela dit, la méthode choisie par Telecom Bretagne est d'une remarquable simplicité: il s'agit de proposer un type de licence aux déposants sans l'imposer... N'est-ce pas la voie à suivre ?

En s'inspirant de ce modèle, il faudrait imaginer qu'HAL non seulement intègre les licences Creative Commons (comme le fait déjà MediHAL), mais propose par défaut une licence CC-BY-SA, tout en laissant la possibilité aux chercheurs de modifier les clauses de la licence Creative Commons, voire d'opter pour un retour au droit d'auteur "classique". Il s'agirait donc d'une mesure d'incitation, dotée d'une grande efficacité sans que cela se traduise par une quelconque forme de violence, puisque les chercheurs auraient toute latitude pour modifier les termes de la licence.

vendredi 15 novembre 2013

Amendement TVA sur les e-books : les DRM deviennent l'exception

Mise à jour du 15 novembre à 21 h : le gouvernement a demandé aujourd'hui une seconde délibération et l'amendement a été représenté au vote en fin d'après-midi pour être finalement rejeté. Plus de détails dans cet article d'ActuaLitté.

Article initial du 15 novembre à 15h30 :

L'Assemblée Nationale vient d'adopter un amendement visant à n'appliquer la TVA à taux réduit qu'aux livres numériques sans DRM. L'amendement, s'il était ensuite validé par le Sénat, s'appliquerait dès le 1er janvier 2015. Retour sur une modification législative qui, loin de contredire frontalement la doctrine européenne et la position du gouvernement français en la matière, les prend en quelque sorte à revers.
Assemblèe Nationale
Assemblée Nationale. Par Adam W. CC-BY Source : Flickr

L'e-book, une prestation de services ?


La Directive TVA n°2006/112/CE du 28 novembre 2006 considère que la mise en ligne de textes s’analyse comme une "prestation de services" fournis par voie électronique. Comme l'explique très bien Ariane Samson-Divisia, c'est la dimension immatérielle du livre numérique qui fait "perdre" au livre sa dénomination de bien culturel pour le muer en service. Or la directive applique un taux plein aux prestations de services. Le livre électronique est "frappé de mutation fiscale par dématérialisation".

Principe de neutralité fiscale : les e-books sont des livres comme les autres


Maintes fois critiquée (rapport Patino en 2008, pétition Gallimard et rapport Gaymard en 2009, rapport Zelnik et rapport Fourgous en 2010) , cette disposition a été abandonnée unilatéralement par la France à partir de 2012. Prenant le contre-pied de la directive européenne, l'article 25 de la loi n° 2010-1657 de finances pour 2011 a étendu à compter du 1er janvier 2012 le taux réduit de la TVA aux livres numériques.

D'après la directive du 11 avril 1967, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, le principe de neutralité fiscale interdit l'application d'un traitement fiscal différencié pour des marchandises de même nature. C'est ce principe qui a été invoqué par la France pour justifier l'application d'un même taux de TVA sur les livres papier et électroniques.

Position qui a suscité les foudres de la Commission européenne, qui a ouvert le 3 juillet une procédure d'infraction contre la France. A l'heure actuelle, la procédure est maintenue.


Ce que dit l'amendement : tout dépend de quels e-books on parle...


L'amendement voté le 14 novembre par les députés est rédigé de la façon suivante :
Le 3° du A de l’article 278-0 bis du code général des impôts est complété par les mots : « sauf si le ou les fichiers comportent des mesures techniques de protection, au sens de l'article L. 331-5 du code de la propriété intellectuelle ou s'il ne sont pas dans un format de données ouvert, au sens de l'article 4 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique. ».
L'amendement opère une distinction entre deux types de livres numériques :
- les livres électroniques comportant des "mesures techniques de protection" (DRM) ou sous format propriétaire : en ce cas, la mise en ligne de ces contenus numérisés s'apparente bel et bien à une prestation de services par voie électronique, et le taux plein s'applique (19,6% actuellement, 20% en 2014). Comme l'écrivait Jeremy Rifkin dès 2000 dans L'âge de l'accès, ce modèle économique propose non plus un bien mais l'accès à un service; aux acheteurs et aux vendeurs se substituent des prestataires et des usagers.
- les livres électroniques non soumis à des verrous numériques et en format ouvert sont assimilables à des livres papier : le principe de neutralité fiscale s'applique et c'est donc le taux réduit de TVA qui prévaut.

Le premier type d'offres ne concerne pas seulement Amazon ou Apple, mais aussi bon nombre d'éditeurs ou d'agrégateurs académiques. On peut se faire une idée de leur nombre en consultant le comparateur d'e-books mis à disposition par le consortium Couperin. Comme l'explique l'exposé sommaire de l'amendement, ces acteurs éditoriaux ont constitué des "écosystèmes fermés. Lorsque l’on regarde les contrats de vente qu’ils proposent, on réalise facilement que ce ne sont pas des livres qui sont vendus, mais des licences de lecture". L'usager reste captif et ne peut réutiliser les fichiers comme il l'entend: limitation du nombre de pages qui peuvent être imprimées, limitation du nombre de téléchargements, fichiers illisibles sans les liseuses adaptées (Amazon, Apple...) etc. Il s'agit de véritables "menottes numériques" pour reprendre l'expression de Richard Stallman.

A l'inverse, des acteurs éditoriaux jouent le jeu d'une offre sans DRM avec des formats interopérables. On pense notamment au projet OpenEdition Freemium pour l'offre académique en sciences humaines et sociales, ou bien, en littérature, aux éditions Bragelonne, L'ivre-book ou Publie.net.

En quelque sorte, l'amendement réalise la synthèse de deux positions a priori inconciliables : celle de la Commission européenne et celle de la France. Mais plus fondamentalement, le texte, en déterminant un traitement fiscal différencié, permet d'accorder un coup de pouce fiscal non négligeable aux éditeurs respectueux des droits du lecteur et, surtout, il consacre le principe de l'ouverture des formats comme la règle, les DRM devenant l'exception.





samedi 9 novembre 2013

Avatars du domaine public numérisé : de la directive PSI 2013 à la proposition de loi Attard

Isabelle Attard
La nouvelle directive PSI ("Public Sector Information") de juin 2013 fait courir un risque au domaine public en autorisant les établissements culturels à restreindre la réutilisation des œuvres du domaine public numérisé. Cependant, il est possible d'annuler ce risque en mettant en place un pare-feu, comme le fait la récente proposition de loi de la députée Isabelle Attard.


Directive PSI 2013 : la réutilisation des informations publiques peut être soumise à des restrictions


La nouvelle directive PSI 2013 concernant la réutilisation des informations du secteur public, n'exclut pas formellement la possibilité pour les organismes publics d'imposer des redevances sur l'accès aux informations publiques numérisées. De plus, comme on l'a vu, en ce qui concerne les règles de tarification, le texte propose un régime dérogatoire en faveur des bibliothèques, musées et archives, qui les autorise à ne pas limiter les redevances "aux coûts marginaux de reproduction, de mise à disposition et de diffusion". Plus largement, comme dans la précédente directive de 2003, les organismes du secteur public peuvent "autoriser la réutilisation sans conditions ou peuvent imposer des conditions, le cas échéant par le biais d'une licence" (article 8). Par exemple : imposer une clause contractuelle interdisant la réutilisation commerciale.


Quid des œuvres du domaine public ?


Un point n'est pas totalement clair : le champ d'application de la directive inclut-il la numérisation des œuvres du domaine public ? Autrement dit : la directive considère-t-elle les œuvres du domaine public numérisées comme des informations publiques ?

L'enjeu est le suivant : si la réponse est positive, cela signifierait que les bibliothèques, musées et archives seraient en droit d'imposer des restrictions d'accès ou des redevances sur l'accès aux œuvres du domaine public numérisées. En somme, en ne spécifiant pas formellement un principe d'interdiction des restrictions d'utilisation des œuvres du domaine public numérisées, la directive légaliserait le "Copyfraud".
Il semble bien que l'esprit du texte aille dans le sens de l'assimilation des œuvres du domaine public numérisées à des informations publiques. Le considérant 31 est libellé ainsi :
Lorsqu'un droit d’exclusivité concerne la numérisation de ressources culturelles, une certaine période d’exclusivité pourrait s’avérer nécessaire afin de donner au partenaire privé la possibilité d’amortir son investissement. Cette période devrait, toutefois, être limitée dans le temps et être aussi courte que possible afin de respecter le principe selon lequel le matériel relevant du domaine public doit rester dans le domaine public une fois numérisé.
Ce qui signifie que, dans l'esprit des rédacteurs, les cas de "numérisation de ressources culturelles" envisagés par la directive à l'article 11 (lequel porte sur la durée des accords d'exclusivité) peuvent très bien porter sur des œuvres du domaine public. Il faut alors considérer ces dernières comme des informations du secteur public.


Et en droit français ?


Est-ce à dire qu'en droit français, le principe s'imposerait avec la même rigueur ? Existe-t-il un pare-feu pour protéger le domaine public numérisé ? En théorie, oui. La loi CADA de juillet 1978 relative aux informations publiques, loi qui fonde notamment le principe de l'exception culturelle, précise à l'article 10 que "ne sont pas considérées comme des informations publiques, pour l'application du présent chapitre, les informations contenues dans des documents (...) sur lesquels des tiers détiennent des droits de propriété intellectuelle." Par définition, aucun tiers ne détient de droits patrimoniaux sur des œuvres du domaine public. En revanche, les ayants droit sont titulaires d'un droit moral incessible et perpétuel sur les œuvres de l'auteur. En appliquant ce raisonnement, il serait donc possible d'en déduire que la loi française ne considère pas les œuvres du domaine public numérisées comme des informations publiques. C'est ce raisonnement qui a été suivi récemment par les Archives Municipales de Toulouse.

Cependant, ce garde-fou reste théorique et incertain, tant qu'il n'a pas fait l'objet d'une confirmation par la jurisprudence. Les établissements culturels disposent pour l'instant d'une certaine latitude leur permettant d'estimer de façon discrétionnaire si la réutilisation des œuvres du domaine public numérisées est soumise ou non à des restrictions.

C'est pourquoi, il paraîtrait important que la loi française interdise explicitement les cas de restriction d'accès. Il y aurait deux stratégies possibles, proposées en octobre 2012 par @calimaq au moment où il imaginait une loi pour le domaine public. Ou bien la loi de juillet 1978 serait amendée de façon à exclure explicitement les œuvres du domaine public numérisées de son champ d'application. Ou bien la loi de juillet 1978 les inclurait dans son champ d'application... Mais un nouvel alinéa viendrait préciser, que, dans ce cas de figure, les établissements culturels ne pourraient pas limiter ou entraver par quelque disposition contractuelle que ce soit, la réutilisation du produit de la numérisation.


Une proposition de loi innovante


C'est la seconde branche de cette alternative qui est envisagée dans la proposition de loi déposée récemment par la députée Isabelle Attard. Cette solution pourrait présenter certains avantages :
- en considérant le produit de la numérisation des œuvres du domaine public comme des informations publiques, la loi se montrerait conforme à l'esprit de la directive PSI de 2013;
- la diffusion des œuvres du domaine public profiterait ainsi de l'élan impulsé aujourd'hui au niveau français et européen, à l'ouverture des données publiques, tous secteurs confondus.
La proposition énonce que les œuvres du domaine public numérisées doivent être considérées comme des informations publiques (1°) puis que ces informations ne peuvent faire l'objet d''aucune restriction d'accès (2°). Les métadonnées qui les accompagnent doivent également être soumises au même principe d'ouverture.
1° Après le cinquième alinéa de l’article 10 de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public et diverses dispositions d’ordre administratif, social et fiscal, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Sont considérées comme des informations publiques, pour l’application du présent chapitre, celles qui décrivent, représentent ou réutilisent des œuvres de l’esprit appartenant au domaine public. »
2° L’article 11 de la même loi est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« Néanmoins, s’agissant des informations contenues dans des documents correspondant à des œuvres du domaine public, les établissements mentionnés ci-dessus ne peuvent poser de restrictions à leur réutilisation, ni soumettre celle-ci au respect de conditions particulières.
« Les informations publiques produites par ces établissements et visant à décrire des œuvres du domaine public ne peuvent être soumises à des restrictions dans leurs conditions de réutilisation, si ce n’est la mention de la source telle que prévue à l’article 12 de la présente loi»
La proposition de loi prévoit également une interdiction formelle des accords d'exclusivité dans le cas de la numérisation d’œuvres du domaine public :

3° Le second alinéa de l’article 14 de la même loi est remplacé par un alinéa ainsi rédigé :
« La réutilisation d’informations publiques ne peut faire l’objet d’un droit d’exclusivité accordé à un tiers, sauf si un tel droit est nécessaire à l’exercice d’une mission de service public. Aucune exclusivité ne peut cependant être accordée pour la réutilisation d’informations publiques contenues dans des documents correspondants à des œuvres du domaine public
 En effet, ce type d'exclusivité consiste à imposer des restrictions d'accès et de réutilisation sur des œuvres du domaine public; autrement dit, il s'agit d'un cas de Copyfraud. Cependant, la directive PSI de 2013 n'interdit pas les accords d'exclusivité sur la numérisation de ressources culturelles (cette notion incluant comme on l'a vu, le produit de la numérisation des œuvres du domaine public). Bien au contraire, il autorise une période d'exclusivité supérieure à dix ans (article 11 : "La période d'exclusivité ne dépasse pas, en général, dix ans. Lorsque ladite durée est supérieure à dix ans...."), quand bien même le considérant 31 précise que la période devrait être "être limitée dans le temps et être aussi courte que possible afin de respecter le principe selon lequel le matériel relevant du domaine public doit rester dans le domaine public une fois numérisé." Dans la mesure où la disposition proposée d'interdiction stricte des accords d'exclusivité sur le produit de la numérisation des œuvres du domaine public est plus restrictive que ne l'est le texte de la directive de 2013, se pose la question de sa compatibilité avec la directive.

Pour conclure, on ne peut que souhaiter un heureux destin à la proposition de loi d'Isabelle Attard !

vendredi 1 novembre 2013

Directive PSI de 2013 : il faut que tout change pour que (presque) rien ne change


La Directive 2013/37/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 modifie la directive 2003/98/CE concernant la réutilisation des informations du secteur public, la fameuse "Directive PSI" (PSI pour Public Sector Information).
L'une des principales nouveautés de la directive de 2013 consiste à étendre le champ d'application de la directive de 2003 pour y inclure les bibliothèques, musées et archives.
 Pour autant, cette nouveauté s'accompagne comme on va le voir, d'un grand nombre de cas dérogatoires concernant les nouveaux entrants, si bien que l'on peut s'interroger sur la portée réelle du changement.


Bruxelles, le parlement européen
Bruxelles, le Parlement européen. Par Sébastien Bertrand. CC-BY. Source : Flickr


Objet et champ d'application


L'article premier énonce que :

La directive ne s'applique pas
e) aux documents détenus par des établissements d'enseignement et de recherche, y compris des organisations créées pour le transfert des résultats de la recherche, des écoles et des universités, à l'exception des bibliothèques universitaires 
f) aux documents détenus par des établissements culturels autres que des bibliothèques, des musées et des archives.

S'il est vrai que le texte de 2013 inclut désormais les bibliothèques, musées et archives, il n'en reste pas moins que les "autres" établissements culturels se tiennent hors de portée de la directive. Le considérant 18 précise que par "établissements culturels autres", il faut entendre notamment :
les orchestres, les opéras, les ballets et les théâtres, y compris les archives faisant partie de ces établissements [qui]devraient continuer à être exclus du champ d’application en raison de leur spécificité de «spectacle vivant». Dès lors que la quasi totalité du matériel en leur possession fait l’objet de droits de propriété intellectuelle détenus par des tiers et, à ce titre, resterait hors du champ d’application de ladite directive, l’inclusion de ces établissements dans le champ d’application aurait peu d’effet
C'est bien connu, les opéras, ballets et théâtres n'interprètent ou ne représentent jamais des œuvres du domaine public à partir du matériel en leur possession....
Par ailleurs, le texte exclut de son champ d'application les universités et écoles de l'enseignement supérieur "à l'exception des bibliothèques universitaires". Or, comme le relève Michèle Battisti, la distinction entre universités et BU n'est pas facile à établir.
Enfin le texte laisse perplexe sur le cas des bibliothèques des écoles de l'enseignement supérieur : sont-elles incluses dans le dispositif du fait même de leur statut de bibliothèques (cas f) ou exclues du fait de n'être pas stricto sensu des bibliothèques universitaires (cas e) ?


Demandes de réutilisation


En matière de traitement des demandes de réutilisation, l'une des nouveautés de la directive de 2013 consiste à ouvrir la possibilité d'un recours via "un organisme de réexamen impartial doté des compétences appropriées, telle que l'autorité nationale de la concurrence, l'autorité nationale d'accès aux documents ou une autorité judiciaire nationale, dont les décisions sont contraignantes pour l'organisme du secteur public concerné" (article 4).

En cas de décision négative, les organismes du secteur public doivent communiquer au demandeur les raisons du refus. Dans le cas précis où le refus se fonde sur la détention par des tiers de droits de propriété intellectuelle, "l'organisme du secteur public fait mention de la personne physique ou morale titulaire des droits, si elle est connue, ou, à défaut, du donneur de licence auprès duquel il a obtenu le document en question. Les bibliothèques, y compris les bibliothèques universitaires, les musées et les archives ne sont pas tenus d'indiquer cette mention."

En pratique, cette dérogation devrait avoir un effet très limité en droit français, dans la mesure où le droit à la paternité est l'une des composantes du droit moral. S'il est vrai qu'un établissement culturel pourra, en vertu du texte de la directive de 2013, ne pas mentionner les auteurs ou les ayants droit dans le message adressé au demandeur pour expliciter le refus, il n'en reste pas moins que la mention de paternité doit être visible sur le site web de cet établissement.

Conditions de réutilisation


1) Formats disponibles (article 5)

Principale nouveauté : la directive de 2013 favorise la mise à disposition des données du secteur public "dans un format ouvert et  lisible par machine".  Cependant, le texte reste relativement timide : les organismes du secteur public doivent se conformer à cette exigence "si possible et s'il y a lieu". (Il doit certainement y avoir beaucoup de Bisounours dans les travées du Parlement européen).

2) Principes de tarification (article 6)

En ce qui concerne les règles de tarification, le texte propose une nouvelle exception à destination des bibliothèques, musées et archives :
1. Lorsque la réutilisation de documents est soumise à des redevances, lesdites redevances sont limitées aux coûts marginaux de reproduction, de mise à disposition et de diffusion.

2. Le paragraphe 1 ne s'applique pas (...) aux bibliothèques, y compris les bibliothèques universitaires, aux musées et aux archives. (...) 
Et le régime dérogatoire accordé aux bibliothèques, musées et archives s'étend encore plus loin. Le paragraphe 3 détaille la portée de l'exception en faveur essentiellement des Etablissements à caractère Public, Industriel et Commercial (EPIC) : ces derniers "calculent le montant total des redevances en fonction de critères objectifs, transparents et vérifiables définis par les États membres". Le paragraphe 4 détaille cette fois la portée de l'exception en faveur des bibliothèques, musées et archives. Et là, surprise : le calcul en fonction de "critères objectifs, transparents et vérifiables" n'est plus exigé !

3) Transparence (article 7)

Le principe général de transparence est réaffirmé, notamment en ce qui concerne un affichage clair des voies de recours.

Cependant, comme on l'a vu, les choses ne sont pas si claires concernant les règles de tarification, un certain flou autorisant les bibliothèques, musées et archives à ne pas se conformer aux règles de transparence.

Interdiction des accords d'exclusivité


Le principe établi depuis 2003 de l'interdiction des accords d'exclusivité est confirmé. Des exceptions sont toujours possibles dans le cas où "un droit d'exclusivité est nécessaire pour la prestation d'un service d'intérêt général" (article 11). Ce droit d'exclusivité doit être réexaminé tous les trois ans. Le texte ne précise pas, dans ce cas la durée maximale de l'exclusivité.
La directive de 2013 introduit un régime dérogatoire dans le cas de la "numérisation des ressources culturelles"
lorsqu'un droit d'exclusivité concerne la numérisation de ressources culturelles, la période d'exclusivité ne dépasse pas, en général, dix ans. Lorsque ladite durée est supérieure à dix ans, elle fait l'objet d'un réexamen au cours de la onzième année et ensuite, le cas échéant, tous les sept ans. Les accords d'exclusivité visés au premier alinéa sont transparents et sont rendus publics. 
Le texte de la directive de 2013 a le mérite de proposer une durée maximale pour les exclusivités dans le cas de la numérisation des ressources culturelles. Cependant, le texte est peu contraignant, puisqu'il énonce un constat de fait et non une règle ("la période d'exclusivité ne dépasse pas, en général, dix ans"). Par ailleurs, l'intervalle entre deux réexamens du bien-fondé de l'exclusivité est considérablement élargi par rapport aux autres cas de numérisation : un réexamen est requis au bout de 11 ans puis tous les 7 ans.


On notera cependant un point très positif énoncé dans l'article 11. Les accords d'exclusivité doivent être "transparents" et "rendus publics", disposition, qui, une fois transposée, devrait contraindre certains établissements culturels français, à ne plus caviarder allègrement lesdits accords au nom du secret commercial.

PS: merci à Jordi Navarro pour son travail préparatoire sur la comparaison terme à terme des textes des deux directives.

lundi 1 juillet 2013

Exemple de "usability tests" autour du site web des bibliothèques de l'Université Toulouse 3

Les usability tests permettent d'évaluer l'ergonomie d'un site par le biais de questions simples posées aux usagers. Les usability tests en quelques mots, c'est ça :



Phase préparatoire


Depuis que nous avions mis en ligne en novembre 2012, un nouveau site web pour les bibliothèques de l'Université Toulouse 3, nous étions avides de recueillir les retours des usagers, et d'évaluer par là même les points faibles et les points forts du site.

Nous cherchions une méthode simple, efficace et non dispendieuse. L'exemple de la NCSU Library semblait répondre aux trois critères. La méthode semblait simplissime :
• une trentaine d’usagers pris au hasard dans le hall de la bibliothèque est sollicitée pour tester la navigation sur le site
• une liste de 15 tâches leur est proposée. Ils doivent effectuer 4 des 15 tâches et indiquer dans un questionnaire quel chemin ils ont emprunté

Deux difficultés cependant apparaissaient :
1) Arriverait-on à solliciter une trentaine d'usagers?
2) Si l'on affichait une quinzaine de tâches en demandant à l'usager interviewé de n'en remplir que quatre de son choix, ne courait-on pas le risque que les usagers interviewés choisissent à peu près tous les quatre mêmes questions (les plus faciles ou celles du début de la liste) ?

Je dois une fière chandelle à mes collègues qui ont trouvé des solutions efficaces pour contourner facilement les deux écueils :
1) Si les usagers ne viennent pas à nous, c'est à nous de venir à eux... En troquant un ordinateur de bureau contre un ordinateur portable, nous avons pu facilement nous déplacer d'une table à l'autre entre les groupes d'étudiants installés... Idée simple et géniale soufflée par les responsables du Service aux Publics !
2) Le responsable du Service Informatique nous a créé en deux temps trois mouvements un logiciel permettant d'afficher aléatoirement 4 questions parmi les 18 que nous avions préparées. Du coup, l'usager ne perdait pas de temps à faire un choix cornélien pour déterminer les questions auxquelles il souhaitait répondre. Autre intérêt du logiciel : les réponses étaient stockées en temps réel dans un tableur, permettant une exploitation rapide et simple.


Que retenons-nous de ces usability tests ?

Des chemins de traverse...


Tout d'abord, certaines pages ne posent pas de difficultés aux usagers. Cependant, le chemin pour y parvenir est parfois tortueux. Les interviewers ont pris soin de noter les hésitations des personnes sondées, et le résultat est assez instructif : nous pourrions modifier nos pages de façon simple pour intégrer ces cheminements. Exemple : à la question 3 ("Question 3 : Vous avez besoin de connaître le tarif du Prêt entre Bibliothèques. Par quel chemin passez-vous pour accéder à la bonne page ?"), 2 usagers sur 9 ont cru que la réponse se trouvait sur la page "Prêt/Inscription". Solution proposée : Faire un lien vers le PEB depuis la page "Prêt/Inscription"

L'ergonomie de l'outil de découverte peut être améliorée


Les usability tests nous ont ensuite permis de nous conforter dans l'idée qu'il était nécessaire de modifier l'ergonomie de l'outil de découverte baptisé "Archipel plus" (nom commercial : Summon).
La question 14 se présentait ainsi : "Vous faites une recherche et vous souhaitez obtenir en une seule interrogation des articles provenant de différentes bases de données. Comment faites-vous ?"
Or il se trouve que les deux ordinateurs portables n'affichaient pas exactement la même page d'accueil: l'un affichait le site web tel qu'il existait à ce moment-là, l'autre affichait une version en test.
Archipel Plus se présentait différemment selon l’URL. Sur le site test, des onglets de pré-sélection étaient proposés, alors que le site actuel (jusqu’au 28 juin) présentait un outil d'un seul bloc.
Site test :

Site actuel (avant le 28 juin):

 De ce fait, la qualité des réponses a été différente selon que l'usager a été interviewé à partir du site test, ou à partir du site actuel :


Quel site ?
Numéro Q
Moy sur 5
Nb de réponses
Nb de 5/5
Site test
14
5
6
6
Site actuel
14
1
4
1

100% des usagers interrogés sur le site test ont trouvé la bonne réponse contre 25 % (1 sur 4) des usagers interrogés sur le site actuel.
Depuis le 28 juin, notre site a donc intégré les améliorations présentées dans la version de test : les onglets de pré-sélection permettent aux usagers de mieux appréhender l'outil.

Trois défauts...


Enfin les usability tests nous ont permis de cibler trois défauts majeurs à corriger.

1) Les usagers ne trouvent pas les pages thématiques

Ils ne comprennent pas que le bouton « Accès thématiques » dans l'onglet "Accéder aux ressources" est cliquable.
- 4 usagers sur 13 se rendent sur la page des bases de données
- 3 usagers cherchent sur la catalogue (1 de plus en première intention avant de trouver la bonne réponse)
Solution proposée :
Rendre le bouton plus visible et/ou ajouter un lien hypertexte sous le bouton, lien qui serait intitulé "Accès thématiques". C'est une option similaire qui a été choisie par le site de la NCSU Library :


2) Les usagers ne voient pas l'icône présente dans le pied de page leur permettant d'accéder à "BloBuss", le blog de la BU Sciences. 

Sur 10 personnes interviewées, 1 seul usager a vu l'icône de BloBuss dans le pied de page.
Solution proposée : 
Les actualités du site web ne doivent pas dupliquer en entier les billets du blog. Elles doivent comporter un lien "Lire la suite dans BloBuss". Cette solution ferait d’une pierre deux coups ; elle permettrait :
- d’accroître les taux de consultation de BloBuss
- d’éviter le danger de la désindexation du site ou du blog par les moteurs de recherche du fait de la similarité des textes : il s’agit du problème des « contenus dupliqués ».

3) L'URL du site (http://scd.univ-tlse3.fr) n'est pas parlante pour les usagers.

Aucun des interviewés n'a su expliquer ce que signifiaient les 3 lettres SCD.
Solution proposée : 
Une nouvelle URL du type http://bibliotheques.univ-tlse3.fr serait plus parlante quoique plus longue.

A l'heure qu'il est, l'équipe site web ne s'est pas encore réunie pour discuter du rapport et des solutions proposées; ces dernières ne sont donc pour l'instant qu'à l'état de propositions, susceptibles d'être invalidées ou modifiées dans les jours qui viennent.

Pour plus de détails, voici le rapport complet téléchargeable via ce lien (mis à jour le 12 juillet) :




Pour conclure...


Les usability tests sont très simples et faciles à mettre en oeuvre. Nous envisageons donc de procéder à d'autres tests dès que nous aurons intégré sur notre site les modifications induites par les résultats de l'analyse du premier test. 

lundi 10 juin 2013

Aspects juridiques de la numérisation et de la réutilisation de contenus

Récemment, j'ai dispensé un cours à l'école nationale des sciences de l'information et ds bibliothèques (enssib) dans le cadre d'un stage de formation continue intitulé "Propriété intellectuelle en bibliothèque". @Calimaq (aka Lionel Maurel), responsable scientifique du stage, m'a fait l'immense honneur de solliciter mon intervention.

Intitulé du cours : "Aspects juridiques de la numérisation et de la mise à disposition de contenus numérisés".

En voici les grandes lignes :

 I)Aspects juridiques de la numérisation 
  • Rappel sur le droit d’auteur et les exceptions 
  • Numériser des thèses 
  • Numériser des livres 
  • Numériser des documents sonores 
  • Numériser une revue 
  • Numériser des images 
  • Numériser des films 
  • Cas des œuvres orphelines 

II) Réutilisation de contenus
  • Quelques exemples de licences permettant la réutilisation de contenus
  • Le « Copyfraud » 
  •  L’exception culturelle 
  • Les Accords BnF 
  • La loi sur les œuvres indisponibles et le registre ReLIRE 

Si je devais qualifier mon support, je dirais qu'il s'agit d'un travail de marqueterie consistant à associer et à mettre en forme diverses sources. Le résultat ne dénote pas nécessairement une grande originalité. Mais je n'y vois pas une faiblesse: l'apprentissage et l'éducation ont toujours eu partie liée avec le travail de copiste ou celui de monteur. 

Pour la partie concernant la numérisation de la presse, je cite littéralement de bout en bout le contenu d'un diaporama réalisé par Michèle Battisti (en ayant bien sûr pris soin de le mettre à jour), parce que je ne vois pas l'intérêt de réinventer la roue quand il existe déjà un support quasi parfait... Je la cite expressément quand il s'agit de parler de la directive sur les œuvres orphelines ou de la numérisation des thèses. La liste des citations ne s'arrête pas là. Je me suis référé très souvent à l'ouvrage indépassable d'Anne-Laure Stérin, Le Guide Pratique du Droit d'Auteur, une Bible qui devrait figurer dans toutes les administrations et services d'archives ou de bibliothèques de France et de Navarre. Les billets du blog S.I.Lex de @calimaq sont également une source inépuisable. La revue ActuaLitté tient évidemment une bonne place, surtout dans les parties en lien avec l'actualité la plus récente, qu'il s'agisse des accords BnF ou du registre Relire. Et bien d'autres sources encore, que je cite systématiquement dans le support que vous découvrirez.

Si vous êtes pressés, prenez le temps de vous arrêter sur la diapo 60 (la seule pour laquelle je revendique une certaine originalité, quoique cela soit une originalité très relative...) qui comporte un tableau synoptique assez utile pour toutes les administrations poursuivant un objectif de numérisation et qui ne savent pas quelle(s) licence(s) de réutilisation choisir. La dernière colonne du tableau fait référence à la notion d'"enclosure" informationnelle, concept-clé de la théorie des Biens Communs. Pour des explications, rendez-vous sur Bibliobsesssion, le blog de Silvae, où vous trouverez un article essentiel sur la question.





mardi 9 avril 2013

La loi sur les indisponibles : un texte plein de trous


<Mise à jour du 15 avril/> @doctorlaura signale sur son blog que certaines anthologies traduites ont été retirées du registre ReLIRE. Ce retrait a-t-il eu lieu suite à une demande expresse de certains des auteurs qui ont fait jouer l'opt-out, ou bien s'agit-il d'un retrait spontané décidé par la BnF, opérateur de l’État, chargée par la loi de créer, maintenir et publier la liste des livres indisponibles ? Dans le seconde hypothèse, cela signifierait que le Ministère de la Culture et de la Communication craint des actions en justice. </Mise à jour du 15 avril>


Tandis que les réactions d'hostilité à la base ReLIRE, tant du côté des auteurs, des éditeurs, que des lecteurs [mais pas pour l'instant du côté des bibliothèques] se multiplient, on voit fleurir les analyses qui mettent au jour les béances du texte  de loi adopté par le Parlement il y a un an : un texte incroyablement mal pensé et mal conçu, dont on mesure mieux les lacunes maintenant que la base est mise en ligne. Voici trois exemples glanés ici ou là.


Pourquoi numériser un ouvrage papier quand l'auteur dispose déjà d'un fichier numérique ?


C'est @svetambre qui a soulevé le lièvre sur son blog :
Vous croyez encore que les éditions numériques sont obligatoirement dérivées d'éditions papier ? Que ce sont de bêtes scans OCRisés ? Qu'au XXe siècle, les auteurs n'avaient pas d'ordinateur ni de logiciels de traitement de texte ?
Eh oui ! Pourquoi donc vouloir produire à partir d'un ouvrage papier un artefact numérique quand le fichier numérique existe déjà et qu'il suffit de le demander à l'auteur (quand ce dernier est joignable)? La question confère subitement au programme de numérisation un air de vaste expérience shadokienne...





Que se passe-t-il si la SOFIA octroie une autorisation d'exploitation exclusive de 10 ans à l'éditeur d'origine alors que l'auteur a partagé librement son ouvrage en ligne ?


Resituons le problème. La loi de mars 2012 énonce que :
Une autorisation d’exploitation exclusive de 10 ans est proposée par la société de gestion collective à votre éditeur d'origine si ce dernier est encore en activité et s’il détient toujours les droits sur le livre imprimé. L’éditeur qui accepte la proposition qui lui est faite par la société de gestion collective d'une autorisation d’exploitation exclusive de 10 ans doit fournir la preuve de l’exploitation du livre sous forme numérique dans un délai de 3 ans. Si l'éditeur d'origine ne souhaite pas bénéficier d'une autorisation d’exploitation exclusive de 10 ans, tout opérateur numérique peut demander une autorisation d’exploitation non exclusive d’une durée de 5 ans.
Maintenant supposons a) qu'un auteur ne se soit pas manifesté dans le délai de 6 mois après la publication annuelle de la liste des livres indisponibles dans ReLIRE, pour s'opposer à l'entrée en gestion collective de ses oeuvres, (simplement parce qu'il n'était pas au courant de l'existence de la base ReLIRE) et b) que ce même auteur ait fait le choix de diffuser gratuitement sur la toile, une ou plusieurs des oeuvres listées dans ReLIRE. Eh bien, une fois que la SOFIA aura octroyé une autorisation d'exploitation exclusive à l'éditeur d'origine, l'auteur serait en état d'infraction pour non-respect de  l'exclusivité commerciale qui le lie désormais malgré lui à son éditeur pour l'exploitation de l'oeuvre sous sa version numérique.

Pure fiction me direz-vous ? Pas vraiment. Rien d'impossible. Par exemple, un auteur aussi prolifique que Joël de Rosnay n'est pas loin d'entrer dans ce cas de figure :


Certes, pour l'instant, les ouvrages que Joël de Rosnay a mis en ligne en accès gratuit ne sont pas listés dans ReLIRE. Mais que fera-t-il dans un an, lors de la publication de la suite de la liste, si le cas se présente ? Gardera-t-il le même flegme ? 


Les auteurs étrangers seront-ils les grands lésés de l'affaire ?


Faute d'être suffisamment informés, bon nombre d'auteurs français listés dans la base ReLIRE ne s'opposeront probablement pas à l'entrée en gestion collective de leur(s) livre(s) pendant la période de 6 mois après l’inscription du (des) livre(s) dans le registre.
Mais le nombre des auteurs floués ne s'arrête pas là. Comme l'indique ActuaLitté, et la Team Alexandriz sur son site parodique Relire Bay, la base ReLIRE contient un nombre important de traductions, et ce en contradiction avec le rapport d'Hervé Gaymard, remis à l'Assemblée Nationale en janvier 2012, qui préconisait :
En pratique et d’après les informations recueillies par le rapporteur, il est prévu de ne pas inscrire dans un premier temps de traductions dans la base de données des livres indisponibles prévue par la présente proposition de loi et d’attendre la mise en place de systèmes de gestion similaires dans les pays d’origine des œuvres traduites.
En pratique, du fait que le registre ReLIRE inclut dès à présent des auteurs étrangers traduits, on s'aperçoit que le champ d'application de la loi sur les oeuvres indisponibles déborde très largement le cadre strictement national. Il empiète allègrement sur le droit des auteurs étrangers qui ont eu le malheur d'être traduits en Français. Quelle sera leur réaction ? La probabilité qu'ils entament une démarche d'opposition semble infime. Cependant, quelques auteurs anglo-saxons commencent à sortir du bois, ici ou . Il suffirait d'une ou deux affaires portées devant un tribunal par l'un d'eux pour porter un sérieux coup d'arrêt à la machine à relire.
Et subitement, on se souvient des protestations véhémentes poussées il y a quelques années par les éditeurs hexagonaux lorsqu'ils ont découvert que le projet Google Books incluait la numérisation de leurs ouvrages...

Et on se dit que, décidément, ce texte de loi, rédigé en dépit du bon sens, est aussi troué que la passoire des Shadoks...




dimanche 31 mars 2013

ReLIRE, Relier, Délier...

L'idée de ce billet m'est venue à la lecture du communiqué de presse daté du 21 mars émanant du Ministère de la Culture et de la Communication annonçant simultanément deux évènements : la signature de l’accord-cadre sur le contrat d’édition dans le secteur du livre à l’ère du numérique et le lancement du registre des œuvres indisponibles du XXème siècle. (1)
Je me suis dit qu'il y avait au moins deux lectures possibles du communiqué. Une lecture (naïve) considérerait comme une pure et simple coïncidence le fait que la signature de l'accord-cadre sur le contrat d'édition survienne en même temps que l'annonce de la mise en ligne de la base ReLIRE. Une seconde lecture (plus attentive) amènerait au contraire à se demander si cette simultanéité n'est pas en soi un fait significatif. Soit que l'accord-cadre et la base ReLIRE soient les deux faces d'une même pièce, l'une tournée vers les œuvres indisponibles du XXème siècle, l'autre vers les ouvrages à paraître. Soit que le Ministère vise par ce procédé à estomper l'effet possiblement négatif pour les auteurs de la mise en ligne de la base ReLIRE, en annonçant la signature d'un accord-cadre censé présenter un certain nombre de garanties nouvelles pour ces mêmes auteurs, dans le cadre du contrat d'édition numérique.
Nous allons donc explorer les deux branches de l'alternative.

ReLIRE...


Le Registre des Livres Indisponibles en Réédition Électronique ReLIRE est censé donner, comme l'explique la page d'accueil du site, "accès à une première liste de 60 000 livres indisponibles du XXe siècle : des livres sous droits d'auteur, publiés en France avant le 1er janvier 2001, et qui ne sont plus commercialisés. Si les titulaires de droits ne s'y opposent pas, ces livres entreront en gestion collective en septembre 2013. Ils pourront alors être remis en vente sous forme numérique." Les auteurs peuvent aussi s'opposer à la gestion collective; ils ont six mois pour le faire.



Les critiques ont fusé de toutes parts pour dénoncer les effets inquiétants de la mise en ligne de la base ReLIRE, en application de la loi du 1er mars 2012 sur les œuvres indisponibles. Les points soulevés sont de plusieurs ordres, en voici un échantillon :

- Le mécanisme de l'Opt-Out, jadis si décrié par la Bibliothèque nationale de France quand Google souhaitait l'imposer à tous les éditeurs, déclenche un renversement de la charge de la preuve de la titularité des droits. Lorsqu'un auteur repère dans la base un livre dont il est l'auteur et qu'il souhaite s'opposer à son entrée en gestion collective, il doit remplir un formulaire en ligne accompagné des "pièces justificatives requises par le décret d’application", à savoir : "la copie d’une pièce d’identité (carte d’identité ou passeport) ; une déclaration sur l’honneur pour attester de sa qualité d'auteur". Ces formalités sont destinées à établir la preuve que l'auteur est bien le titulaire des droits sur l'ouvrage. Comme l'a bien montré le site Actualitté, ce formalisme est contraire aux principes énoncés dans la Convention de Berne :
"La jouissance et l'exercice de ces droits ne sont subordonnés à aucune formalité" (art. 5.2)
Le principe est rappelé par le Code de la Propriété Intellectuelle à l'article 111.1:
"L'auteur d'une œuvre de l'esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous."
- L'inexactitude de la base, qui liste un grand nombre d'ouvrages publiés après 2001. Le constat tient au fait que les contraintes de calendrier étaient irréalistes : "le « conseil scientifique » en charge de la liste ReLIRE n'a été nommé que le 19 mars, et la liste est publiée le 21" (je cite ici le billet acide de Svetambre)

- La consécration d'un droit d'éditeur, qui permet le retour quasi-automatique des livres numérisés dans l'escarcelle des éditeurs initiaux des ouvrages. On est là face à un paradoxe. Si les ouvrages sont qualifiés d'indisponibles ("épuisés" devrait être le vrai terme), c'est du fait que les éditeurs n'ont pas assuré une exploitation commerciale et suivie de l'ouvrage. Or ce défaut de respect de l'obligation aurait dû entraîner la résiliation du contrat. Comme l'écrivait il y a plus d'un an @Calimaq :
vous vous demandez peut-être pourquoi depuis des mois, on prend bien le soin, par un subtil exercice de novlangue juridique, de parler « d’oeuvres indisponibles » et pas « d’oeuvres épuisées » ? Car pourtant au fond, les 500 000 livres dont il est question derrière cette loi sont bien des oeuvres épuisées, notion qui existe juridiquement dans le Code de propriété intellectuelle. La raison, c’est que dans l’esprit du Code, quand une oeuvre est épuisée, l’éditeur est considéré comme ayant manqué à une des obligations essentielles découlant des contrats d’édition – l’exploitation commerciale permanente et suivie – qui peut entraîner la résiliation du contrat à la demande de l’auteur et le retour des droits dans son giron. On comprend bien qu'il aurait été gênant pour les éditeurs du SNE d’admettre qu'ils avaient manqué à leurs obligations essentielles vis-à-vis des auteurs pour 500 000 ouvrages ! Du coup, le texte de la proposition de loi parle pudiquement d’oeuvres indisponibles et vous n’y trouverez pas le terme « d’oeuvres épuisées »
Non seulement, le contrat initial n'est pas résilié, mais l'éditeur négligent, (ou tout du moins : qui a, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, cessé  d'assurer une exploitation permanente de l'oeuvre), est récompensé : il bénéficiera, à parité avec l'auteur, de 50 % du prix hors taxes de la vente.


- L'impossibilité pour l'auteur malheureux qui n'a pas fait opposition ("faire opposition" : la même expression qu'on utilise en cas de vol d'une carte bancaire... dans le même registre, François Bon parle d' "arracheurs de sacs") dans le délai de six mois à la mise sous gestion collective de son (ses) ouvrage(s), de négocier avec l'éditeur de son choix un nouveau contrat séparé pour l'édition numérique. L'ancien contrat avec l'éditeur initial est reconduit pour une durée indéterminée, ad  aeternam ou du moins pour un délai de 70 ans. En effet, la loi sur les indisponibles, comme le souligne Philippe Aigrain, "considère que la disponibilité numérique tient lieu de disponibilité papier au lieu de gérer les droits séparément, les 18 mois se transforment en éternité. Ce n’est qu’un exemple parmi cent de l’évolution du droit et des pratiques en faveur des seuls éditeurs et distributeurs".


Relier...


Examinons maintenant les grandes lignes de l'accord-cadre sur le contrat d’édition dans le secteur du livre à l’ère du numérique.

Dès le 8 mars, le Syndicat National de l'Edition (SNE) et le Conseil Permanent des Ecrivains (CPE) ont émis un communiqué de presse pour saluer l'aboutissement de l'accord-cadre, et ils en résument les principaux points :

"Une définition du contrat d’édition dans l’univers numérique.
La définition actuelle du contrat d’édition ne prend en compte que l’œuvre imprimée. Elle sera complétée d’une mention concernant l’exploitation numérique.
Un contrat d’édition unique avec une partie spécifique pour le numérique.
Afin de clarifier le contrat, il sera désormais obligatoire d’y prévoir une partie distincte regroupant toutes les dispositions concernant l’exploitation numérique de l’œuvre.
Un bon à diffuser numérique (BADN) De la même façon qu'il existe un bon à tirer pour un ouvrage imprimé, les conditions de signature par l’auteur d’un bon à diffuser numérique ont été définies.
L’exploitation permanente et suivie de l’œuvre sous forme imprimée Les critères permettant d’apprécier l’obligation d’exploitation permanente et suivie de l’éditeur dans l’imprimé ont été clairement définis. Le non-respect de cette obligation permettra à l’auteur de récupérer ses droits sur l’imprimé.
La publication et l’exploitation permanente et suivie de l’œuvre sous forme numérique 
Des délais de publication d’une œuvre sous forme numérique ont été instaurés, ainsi que les critères permettant d’en apprécier l’obligation d’exploitation permanente et suivie par l’éditeur. Le non-respect de ces obligations permettra à l’auteur de récupérer ses droits sur le numérique.
La rémunération de l’auteur dans l’univers numérique 
L’assiette de rémunération de l’auteur a été élargie pour tenir compte des nouveaux modèles économiques liés au numérique.
Une clause de réexamen Une clause obligatoire au contrat permettra à l’auteur ou à l’éditeur d’en renégocier les termes économiques avant son échéance.
La reddition des comptes
L’éditeur sera tenu de rendre compte à l’auteur au moins une fois par an pendant toute la durée du contrat. Les éléments devant figurer dans cette reddition de comptes ont été précisés et complétés. Le non-respect de cette obligation permettra à l’auteur de résilier de plein droit l’ensemble du contrat.
Une clause de fin d’exploitation 
En l’absence de tout résultat d’exploitation de son ouvrage, imprimé ou numérique, dans un délai prévu par la loi, l’auteur pourra résilier de plein droit l’ensemble du contrat."
L'accord-cadre présente un certain nombre d'avancées pour les auteurs, de nature à retisser des rapports de confiance avec les éditeurs :

- Le bon à diffuser numérique (BADN), obligatoire lorsque le produit numérique comporte des enrichissements graphiques par rapport à l'ouvrage papier, est un moyen de mieux respecter le droit moral des auteurs (y compris les illustrateurs). C'est un progrès par rapport à la loi sur les indisponibles, comme le remarque le syndicat des auteurs de BD.

- La reddition annualisée des comptes est obligatoire. "Si quatre ans après la publication de l’oeuvre et pendant deux années consécutives, les redditions de comptes font apparaître qu'il n’y a pas eu de droits versés", le constat d'un manquement de l'éditeur à cette obligation donne à l'auteur le droit de résilier le contrat dans son ensemble, dans ses deux volets (version papier et version numérique). C'est la clause de fin d’exploitation.

Unravel_Extreme_Knit_10_S
Unravel_Extreme_Knit_10_S. Par Purple Heather. CC-BY-NC-ND 2.0. Source : Flickr

Délier...


Mais, sur un certain nombre de points, l'accord-cadre fait la part belle aux éditeurs au détriment des auteurs et continue de conforter l'inégalité des rapports de force.

- L'exploitation permanente et suivie numérique est définie par des critères assez faciles à remplir :
"A compter des dates de publication applicables, l’éditeur est tenu :
- d’exploiter l’oeuvre dans sa totalité sous une forme numérique ;
- de la présenter à son catalogue numérique ;
- de la rendre accessible dans un format technique exploitable en tenant compte des formats usuels du marché et de leur évolution, et dans au moins un format non propriétaire;
- de la rendre accessible à la vente, dans un format numérique non propriétaire, sur un ou plusieurs sites en ligne, selon le modèle commercial en vigueur dans le secteur éditorial considéré
."
En pratique, très rares seront les cas où un auteur sera en mesure de reprendre pleinement ses droits d'exploitation numérique en invoquant le défaut d'exploitation permanente et suivie numérique de l'éditeur.

- Le réexamen des conditions économiques du contrat (2) pourrait bien se transformer en pure formalité, dont l'éditeur sortirait gagnant, du fait de l'inégalité des rapports de force (voir les remarques de @Calimaq). En cas de désaccord, l'auteur peut saisir une "commission de conciliation", composée à parité d'auteurs et d'éditeurs, mais l'avis de cette commission est simplement consultatif. Si l'auteur veut vraiment obtenir de meilleures conditions de rémunérations, il ne pourra faire l'économie d'un recours au juge.

- <Addendum au lendemain de la publication du post/> L'accord-cadre envisage un contrat d'édition unique comportant deux volets relativement autonomes et non deux contrats séparés pour traiter de l'exploitation de la version papier et de la version numérique. Il faudrait au contraire séparer les deux contrats afin de tenir compte de la spécificité des deux modes d'exploitation. La philosophie générale du texte est imprégnée de l'idée que l'éditeur du texte sous sa version papier a naturellement vocation à le diffuser sous sa version numérique, ce qui ne va pas de soi : soit que l'éditeur ne soit pas doté des infrastructures nécessaires pour diffuser le texte numérique, soit que l'auteur souhaite diffuser son texte par ses propres canaux (site personnel, choix d'un autre éditeur, etc). Le texte de l'accord-cadre ne semble pas pour autant fermer la possibilité pour l'auteur de signer deux contrats auprès de deux éditeurs distincts, l'un pour la version papier et l'autre pour la version numérique. Cependant, dans le cas où l'éditeur diffuse les deux versions, le contrat unique est imposé comme une norme. En cela, l'accord-cadre confirme l'esprit de la loi sur les indisponibles : il tend à maintenir artificiellement un lien de continuité entre l'édition papier et l'édition numérique, lien constitutif d'un droit d'éditeur, consacré comme on l'a vu, par la loi du 1er mars 2012. </Addendum au lendemain de la publication du post>

- La partie du contrat dédiée à l'exploitation numérique n'est pas limitée dans le temps (entendez : dans un laps de temps spécifique, bien inférieur à la durée de la vie de l'auteur à laquelle on rajoute 70 ans après sa mort). Or, du fait qu'il sera relativement simple pour les éditeurs de faire la preuve d'une exploitation permanente et suivie numérique, le contrat d'exploitation numérique confère de facto à l'éditeur un droit d'exploitation d'au moins 70 ans. Et ce, de façon beaucoup plus systématique que pour  le livre papier, étant donné que les critères permettant d’apprécier l’obligation d’exploitation permanente et suivie de l'oeuvre sous forme numérique sont plus faciles à remplir que les critères permettant d’apprécier l’obligation d’exploitation de l’éditeur dans l’imprimé. (3)


Délire...?


L'accord-cadre présente de réelles avancées pour les auteurs, mais ne saurait pour autant calmer la colère extrême suscitée par la mise en ligne de la base ReLIRE. Ce n'est pas tant un risque de divorce entre auteurs et éditeurs qui pointe, qu'un désaveu massif de l'action culturelle de l'Etat. Le coup de boutoir que constitue la mise en ligne de la base ReLIRE n'est que très partiellement amorti par l'annonce de la signature de l'accord-cadre







(1) Le même jour, une autre annonce était faite : la Société Française des Intérêts des Auteurs de l’écrit (Sofia) a été choisie par le ministre de la Culture et de la Communication pour l’exercice des droits numériques des livres indisponibles du XXe siècle.  

(2) "L’auteur et l’éditeur peuvent chacun demander un réexamen au terme d’un délai de quatre ans à compter de la signature du contrat et pour une durée de deux ans. Passé ce délai de six ans et pour une durée de neuf ans, l’auteur et l’éditeur peuvent chacun introduire deux demandes de réexamen. Au-delà de cette période de quinze ans, la demande de réexamen a lieu uniquement en cas de modification substantielle de l’économie du secteur entraînant un déséquilibre du contrat depuis sa signature ou sa dernière modification".

(3) "L’éditeur est tenu d’assurer une diffusion active de l’ouvrage pour lui donner toutes ses chances de succès auprès du public. A cet effet, il devra :
- présenter l’ouvrage sur ses catalogues papier et numérique ;
- présenter l’ouvrage comme disponible dans au moins une des principales bases de données interprofessionnelles répertoriant les oeuvres disponibles commercialement ;
- rendre disponible l’ouvrage dans une qualité respectueuse de l’oeuvre et conforme aux règles de l’art quel que soit le circuit de diffusion ;
- satisfaire dans les meilleurs délais les commandes de l’ouvrage."