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mercredi 25 avril 2012

2011 et 2012: deux grands millésimes pour l'édition française

S'il est vrai que le millésime 2011 du Bordeaux n'est pas à la hauteur des deux précédents, s'il est vrai par ailleurs qu'on a parfois tendance à conjuguer art de lire et art de boire, alors filons la métaphore jusqu'à plus soif et demandons-nous si 2011 est un bon millésime pour l'édition française. Réponse : OUI. Et l'on n'a pas besoin d'être un grand expert ès œnologie pour prédire qu'il en sera de même pour 2012. Voici les raisons du succès.

Paris - Wine tasting
Paris - Wine tasting. Par Context Travel. CC-BY-NC-SA 2.0. Source:Flickr.



Politique tarifaire : vin sur vin


L'article 2 de la loi sur le Prix Unique du Livre Numérique du 26 mai 2011, dite "loi PULN" dispose que : "Toute personne établie en France qui édite un livre numérique dans le but de sa diffusion commerciale en France est tenue de fixer un prix de vente au public pour tout type d'offre à l'unité ou groupée."
L'article 3 ajoute: "Le prix de vente, fixé dans les conditions déterminées à l'article 2, s'impose aux personnes proposant des offres de livres numériques aux acheteurs situés en France." 
Autrement dit, le dispositif de la loi a vocation à s'imposer non seulement aux revendeurs situés en Farnce mais aussi à ceux situés à l'étranger, à la double condition que les livres revendus soient édités par une personne établie en France et que l'acheteur soit sur le territoire français. A ce niveau, la loi PULN revêt une dimension d'extraterritorialité (discutable, car la France ne saurait dicter sa loi aux autres Etats...) (1)

La loi PULN garantit aux éditeurs-vignerons français, avec l'aval du Ministère de la (Viti-) Culture,  une maîtrise totale des prix sur le territoire français. Il s'agit d'un dispositif qui aurait pu se réclamer du principe franco-français souvent dévoyé de "l'exception culturelle". Le Ministère de la Culture a préféré présenter patte blanche devant la Commission européenne et invoquer le principe plus européano-compatible de "protection de la diversité culturelle".

La loi PULN protège les éditeurs français et c'est bien normal, me direz-vous? Mais c'est tout de même un dispositif un peu étrange à l'heure de la dématérialisation et de l'internationalisation des échanges dans un contexte de libre concurrence... En tout cas, la Commission Européenne a bien failli censurer la loi, et il n'est pas dit qu'elle ne lance bientôt une procédure de mise en demeure contestant l’application de cette loi aux entreprises installées hors des frontières françaises

Au moment même où la loi PULN était discutée sur les bancs de l'Assemblée, éclatait en mars 2011 une affaire retentissante. La Commission Européenne, (encore elle), dépêchait des enquêteurs dans plusieurs pays auprès des principales maisons d'édition. Pour la France: Gallimard, Albin Michel, Hachette, Flammarion... Motif des perquisitions: le soupçon d'une entente sur les prix des livres numériques. Entendez: l'existence possible de contrats d'agence par lesquels l'éditeur s'assure que le détaillant revend les livres au tarif imposé. En décembre 2011, l'enquête s'est focalisée sur Apple et cinq éditeurs: Simon & Schuster, Hachette Book Group, Penguin Group, Mac Millan et Harper Collins.

Depuis mars 2012, Apple et les cinq éditeurs font également l'objet d'une enquête anti-trust menée par le Département of Justice aux Etats-Unis. Trois ont accepté le règlement proposé : Simon & Schuster, Hachette Book Group et Harper Collins. Selon les termes du règlement, les trois éditeurs devront mettre fin au contrat d'agence qui les lie à Apple. Les deux autres ainsi qu'Apple ont refusé l'accord. Deux autres enquêtes anti-trust sont en cours au Canada.

Quel rapport entre la loi PULN et les enquêtes européennes ou américaines sur les ententes illicites autour du prix des e-books? Le contrat d'agence ! La loi PULN est la généralisation du contrat d'agence à l'échelle du territoire français. Grâce à la loi "prisunic", les éditeurs français sont libres de pratiquer une politique tarifaire qui partout ailleurs en dehors de nos frontières, est qualifiée de pratique anti-concurrentielle! 


La loi PULN comme ultime bouée de secours... C'est à peu près l'esprit d'un récent communiqué du Syndicat National de l'Edition :

Les éditeurs français savent ce que la diversité et la qualité de l'offre, de la diffusion et de la prescription éditoriales doivent à la maîtrise d'un prix unique de vente au détail, valable pour tous les revendeurs quel que soit leur pouvoir de marché. Ils ont pour cela soutenu, en mai 2011, l'adoption d'une loi sur le prix du livre numérique, s'imposant aux firmes françaises et étrangères pour toutes les ventes réalisées sur le territoire français

En ces circonstances, le Syndicat national de l'édition tient à réaffirmer son attachement à cette loi. Il estime que les Autorités européennes, garantes de l'édification d'une Europe de la diversité culturelle, ne peuvent prendre pour modèle le traitement inadapté de cette affaire par le département de la Justice américain, relevant d'une vision mal ajustée de l'avenir du livre et contrevenant aux spécificités de la politique culturelle française.


Bref, si la loi française valide l'application organisée et systématique du contrat d'agence, c'est que l'Union Européenne et le reste du monde ont tort.... En dépit de sa balance extérieure déficitaire, il y a des choses que la France sait exporter: ses vins et... (en rêve) ses lois.


De l'art du ré-embouteillage

Le SNE a encore de nouvelles raisons de se réjouir depuis l'adoption le 22 février 2012 de la loi sur l’exploitation des oeuvres indisponibles du XXème siècle.

Champagne in the Pommery Caves
Champagne in the Pommery Caves. Par Michael McDonough. CC-BY-NC-ND 2.0. Source: Flickr.

Cette loi impose aux auteurs un mécanisme particulièrement impitoyable d'opt-out, inspiré des pratiques tant décriées de Google. Voir les analyses de @calimaq  que je résume ici:
- l'auteur n'a que 6 mois pour se manifester après l'inscription de l'un de ses ouvrages dans la base de données répertoriant les ouvrages indisponibles
- passé ce délai, le droit d’autoriser sa reproduction et sa représentation sous une forme numérique est exercé par une société de perception et de répartition des droits (SPRD)
- durant les 2 mois qui suivent, l'auteur peut encore faire opposition, à condition d’apporter “par tout moyen la preuve que cet éditeur ne dispose pas du droit de reproduction d’un livre sous une forme imprimée[inversion de la charge de la preuve au détriment de l'auteur]
- déséquilibre entre l'auteur et l'éditeur accentué par le traitement privilégié qui est accordé à ce dernier: comme l'écrit @calimaq, "la SPRD est tenue de retrouver et de contacter l’éditeur pour lui proposer d’exploiter l’ouvrage par lui-même, mais ce n’est pas le cas de l’auteur, que la société n’est à aucun moment obligée de rechercher"
- passés ces délais, il reste à l'auteur la possibilité de faire un recours, soit conjointement avec l'éditeur (hypothèse peu probable), soit seul à condition d'assumer la charge de la preuve.


Bref, la loi sur les oeuvres indisponibles est une loi faite pour les éditeurs sur le dos des auteurs. Ces derniers ne s'y sont pas trompés, mais ont réagi beaucoup trop tard (peut-être sont-ils restés paralysés sous l'emprise d'un grand sommeil alcoolisé... puis ils se sont réveillés avec une énorme gueule de bois). On a pu évoquer l'idée d'une "édition sans éditeurs", mais c'est une toute autre perspective que la loi ouvre ainsi: une édition sans auteurs... Loi au demeurant écologiquement responsable puisqu'elle fonctionne sur le mécanisme du recyclage commercial... Ou pour reprendre notre métaphore initiale, sur une remise en bouteilles.


Champagne pour l'édition française !




(1) Cependant, contrairement à ce qu'on peut lire parfois, le prix des livres numériques continue à entrer en ligne de compte dans le choix du titulaire du marché... Pour qu'il n'en soit pas ainsi, il faudrait qu'on se situe dans l'hypothèse où un marché public ne porte que sur des e-books édités par des personnes établies en France. Le dispositif de la loi ne s'applique pas aux livres édités par une personne établie hors de France. Libre à des éditeurs étrangers de fixer les prix des e-books comme ils l'entendent. Libre ensuite à des revendeurs (qu'ils soient ou non établis en France) de jouer sur le prix de revente des e-books des éditeurs étrangers. Il y aura donc bien au final une différence de prix d'un revendeur à l'autre, et le critère du prix des e-books reste un critère de sélection des candidats.

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