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mercredi 20 avril 2011

La clause d'extraterritorialité est morte... Vive l'extraterritorialité


On a beaucoup glosé sur l'attitude du Ministre de la Culture Frédéric Mitterrand, qui a consisté à défendre devant le Sénat le 29 mars, l'idée que la loi sur le Prix Unique du Livre Numérique devrait être opposable aux revendeurs de e-books établis en dehors de la France, puis à soutenir la position contraire quelques jours plus tard, le 7 avril, devant les députés. A l'issue des débats et du vote à la chambre basse, certains ont également déploré ici ou là l'abandon par les députés de la clause d'extraterritorialité au profit du dispositif classique du contrat de mandat. Mais la clause a-t-elle été vraiment abandonnée?


Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà... (Cotton Clouds. Par tochis. CC-BY-NC 2.0. Source: Flickr)

Revenons d'abord sur les raisons qui ont poussé les députés à ne pas valider le principe d'une applicabilité de la loi aux revendeurs situés en dehors du territoire national. En premier lieu, il paraissait techniquement difficile de contrôler l'ensemble des transactions de la chaîne du livre numérique à un niveau européen ou mondial. Ensuite, un tel dispositif aurait été sanctionné par l'Union Européenne au nom du principe de concurrence libre et non faussée.

Mais par ailleurs, dans l'esprit des sénateurs, la clause d'extraterritorialité était destinée à protéger les éditeurs français contre les tentatives de "dumping" pratiquées par les plateformes de vente installées à l'étranger.

Afin de trouver une solution de compromis, le rapporteur de la commission des affaires culturelles et de l'éducation Hervé Gaymard a proposé un dispositif assez nouveau qui ne fait pas disparaître totalement les effets positifs de l'extraterritorialité. L'amendement proposé par Gaymard, adopté la veille en commission dispose en effet que "le prix d'un livre numérique vendu par contrat [de mandat] à un distributeur établi hors du territoire national ne peut être inférieur au prix déterminé par l'éditeur pour le territoire national".

Autrement dit, le dispositif Gaymard opère un triple glissement:
- un déplacement du poids de la contrainte de la loi. Ce n'est plus aux revendeurs de e-books situés en dehors du territoire national de se conformer aux prix fixés par les éditeurs nationaux au nom de la clause d'extraterritorialité. C'est aux éditeurs français de se conformer aux dispositions de la loi, qui leur interdit d'autoriser la revente de leurs e-books par des revendeurs situés hors de France à un prix inférieur à celui qu'ils ont eux-mêmes fixé. En quelque sorte, avec l'amendement Gaymard, la loi opère un retour à l'intérieur des frontières nationales, pour ne plus assujettir (du moins directement) que des entreprises situées en France. Voilà pourquoi Hervé Gaymard peut déclarer qu'avec ce dispositif, on retombe dans le cadre d'un dispositif législatif "classique": "À mes yeux, ce dispositif de bon sens est tout à fait opérationnel, car il respecte la loi française applicable et reste dans le cadre du territoire français, ce qui exclut toute incertitude quant à l’application."
- le passage à un contrôle seulement indirect et partiel des politiques tarifaires des revendeurs extra-nationaux : les distributeurs situés à l'étranger sont désormais libres de revendre les livres des éditeurs français au prix qui leur convient... à condition que ce prix ne soit pas inférieur au prix fixé par les éditeurs français. Le prix de revente en dehors de la France n'est donc que partiellement libre. Sauf erreur, l'amendement consacre bel et bien le retour à peine déguisé d'une règle d'extraterritorialité a minima.
- un renversement de la charge de la preuve. Supposons qu'un distributeur situé en dehors du territoire français revende des livres numériques produits par un éditeur français à un prix inférieur à celui fixé par ce dernier pour la vente sur le territoire français. D'après l'amendement Gaymard, il revient à l'éditeur français seul d'appliquer les règles de fixation des prix mises en place par la loi. La charge de la preuve pèsera donc sur l'éditeur: c'est à lui qu'il reviendra de démontrer qu'il n'a pas autorisé via un contrat de mandat la revente des e-books à un prix inférieur à celui qu'il avait fixé. 

Quant au revendeur, dans ce cas de figure, il pourrait très bien ne pas être inquiété. On peut se demander au nom de quoi sa politique tarifaire pourrait être sanctionnée, puisque, d'après l'amendement Gaymard, le poids de la contrainte de la loi ne pèsera que sur l'éditeur français. Du moment que la revente a été validée en amont par un contrat avec l'éditeur, seul ce dernier pourrait être considéré comme fautif pour avoir concédé au premier un prix inférieur à ce qu'il aurait dû être. 


Si la loi est votée un jour en France, on a hâte d'assister aux premiers contentieux: quelle sera la jurisprudence française et européenne en la matière...?



mardi 19 avril 2011

Loi PULN: librairie vs library?

Les bibliothèques de lecture publique, les musées et les services d'archives, ainsi que les établissements d'enseignement primaire et secondaire, risquent d'être les premiers laissés pour compte du texte de loi sur le Prix Unique du Livre Numérique tel qu'il a été voté par le Sénat le 29 mars dernier, puis moyennant des amendements qui n'ont pas modifié l'article 3 al. 2, par l'Assemblée Nationale le 7 avril.

Contrairement à ce qui a pu être avancé ici ou là, la demande de ces institutions de bénéficier d'une exception au cadre du dispositif de Prix Unique du Livre Numérique ne porte pas atteinte à l'objectif rappelé par Frédéric Mitterrand mardi 29 mars au Sénat, "qui consiste à préserver la diversité éditoriale en prenant appui sur un riche réseau de détaillants" constitué de 3500 librairies indépendantes. 

Pour Colette Mélot, Vice-Présidente de la Commission de la Culture, de la Communication et de l'Education au Sénat, faire sortir les bibliothèques de lecture publique, les musées et les services d'archives, ainsi que les établissements d'enseignement primaire et secondaire du cadre de la loi sur le Prix Unique du Livre Numérique "pourrait avoir des effets contraires aux objectifs généraux fixés par la proposition de loi, puisque cela reviendrait à évincer les libraires du marché de la vente de contenus numériques aux collectivités" (discussions du 29 mars). Ce raisonnement repose sur un syllogisme du type: ces institutions veulent négocier les prix "en direct" avec les éditeurs, elles se passeront des  libraires pour cette étape de négociation, donc elles achèteront les livres électroniques directement auprès des éditeurs.

L'argument est aisément démontable, car il fait l'impasse sur le dispositif existant mis en place par le Code des Marchés: certes ces institutions souhaitent négocier avec les éditeurs comme les bibliothèques publiques le font déjà par le biais du consortium CAREL pour l'acquisition de ressources électroniques, mais cela ne signifie en aucune façon que les libraires sont écartés; car, du moment que le seuil des 4000 € est atteint (1),ces acquisitions sont opérées dans le cadre de marchés publics qui viennent préciser le revendeur sélectionné par chaque collectivité: ce peut être une agence d'abonnement ou un libraire, ce n'est en aucun cas un éditeur. 

C'est pourquoi il aurait fallu inclure de façon plus large dans l'exception dont bénéficient pour l'instant seules les bibliothèques de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche : les bibliothèques, les musées et les services de documentation et d'archives, ainsi que tous les niveaux d'enseignement.

Dans une déclaration datée du 3 avril, les élus de la FNCC, la Fédération Nationale des  Collectivités territoriales pour la Culture, "attirent (...) l’attention des parlementaires sur la pertinence d’étendre cette exemption aux bibliothèques publiques, aux institutions culturelles territoriales (musées, archives…) ainsi qu’au cadre scolaire (notamment aux établissements du second degré). Rien, en effet, ne saurait justifier de soumettre aux mêmes conditions que les particuliers des réseaux entièrement consacrés à une mission de service public."

On ne saurait mieux dire...



(1) L'arrêt du Conseil d'Etat du 10 février 2010 a annulé le décret n°2008-1356 du 19 décembre 2008 relatif au relèvement de certains seuils du Code des Marchés Publics et qui avait élevé le seuil minimal de passation d'un marché à 20 000 € au lieu du seuil des 4000 € prévu par l’article 28 du même Code.

E-books et TVA


Le 14 décembre 2010, la commission mixte paritaire entre députés et sénateurs a validé l’application de la TVA à 5,5 % sur le livre numérique, mais en a reporté la mise en œuvre au 1er janvier 2012. Cette décision fait suite au vote du Sénat portant sur l'adoption de la TVA réduite à 5.5% sur les livres numériques dits "homothétiques", simples facs-similés de la version papier. Le texte adopté soulève plusieurs problèmes d'application.


1) Evacuons d'emblée le cas le plus simple: l'éditeur ou l'agrégateur propose une version numérisée du texte sans enrichissement particulier. Dans ce cas, c'est dorénavant la TVA à 5.5% que l'on pourrait appliquer, à condition que le texte soit téléchargeable en son intégralité (cf infra).


2) On pourrait imaginer le cas où un éditeur propose une offre hybride: les livres numériques proposés sont à la fois disponibles sous format pdf ou ePUB ou PRC et sous format html. Les trois premiers formats (quand le texte n'est pas enrichi par des liens hypertextes) présentent souvent une copie fidèle du livre imprimé, mais il n'en est pas toujours de même pour le texte en format html (format destiné à une lecture à l'écran et comportant généralement des liens hypertexte). Quel régime fiscal doit-on alors appliquer: le régime fiscal du livre numérique "homothétique" ou bien le régime fiscal des services fournis par voie électronique ?


3) Certains éditeurs ou agrégateurs ne proposent qu'une version html du texte initial, mais sans aucun enrichissement notable par rapport à la version papier. Dans ce troisième cas de figure, a-t-on affaire à des livres homothétiques ? L'article additionnel du projet de loi nous invite à répondre de la manière suivante: oui si on peut les télécharger, non dans le cas contraire. En effet, le projet de loi prévoit une application de la taxe à 5.5% sur les "livres sur tout type de support physique, y compris ceux fournis par téléchargement". Autrement dit, la fonctionnalité du téléchargement permet d'assimiler un livre électronique, par définition dématérialisé, à un livre sur support physique, du moment que du point de vue du contenu, il est (relativement) fidèle à la version papier.


En somme, le livre électronique auquel s'appliquerait le taux réduit doit réunir deux critères:
a)- un critère de contenu: le texte doit constituer une copie la plus fidèle possible du texte sur version papier. L'enrichissement du texte initial n'est pas banni, mais il doit être suffisamment peu important pour être considéré comme mineur (une table de sommaire dynamique ou un renvoi de note hypertexte, par exemple)
b)- un critère de forme: la possibilité d'un téléchargement.


Une nouvelle question surgit avec ce second critère: quid des livres homothétiques pour lesquels le fournisseur (éditeur, agrégateur...) n'autorise le téléchargement que d'une partie de l'oeuvre? Cette restriction (consécutive à l'apposition de DRM) fait-elle perdre au livre numérique son éligibilité à une fiscalité réduite?


Enfin, il reste à émettre des interrogations sur le champ d'application exact du projet de loi. Dans les raisonnements présentés ci-dessus, nous avons fait comme si le projet ne s'appliquait qu'aux livres homothétiques (critère de contenu), parce que c'est en ce sens que les sénateurs entendaient que l'amendement soit compris:"Cet amendement vise à établir le taux de TVA applicable au livre numérique dit « homothétique », tel que défini à l’article premier de la proposition de loi relative au prix du livre numérique adopté par le Sénat le 26 octobre 2010, au même taux réduit de 5,5 % que le livre «papier»."
Cependant, la définition dans l'article additionnel des livres éligibles à un taux réduit déborde, semble-t-il, très largement le cadre des livres homothétiques: sont visés les "livres sur tout type de support physique, y compris ceux fournis par téléchargement". A la lettre, toute acquisition de livre numérique téléchargeable pourrait faire l'objet d'une fiscalité à taux réduit....
D'où une ultime interrogation: les parlementaires n'auraient-ils pas ainsi involontairement permis une extension de l'application du taux réduit à TOUS les livres numériques, du moment qu'ils sont téléchargeables?